Le regard de la turienne balançait de droite à gauche, décortiquait chaque bâtiment, analysait chaque vaisseau qu'elle voyait passer dans le ciel. On pouvait croire qu'elle cherchait quelque chose, ce qui n'était pas tout à fait faux. Elle aurait voulu, pourquoi pas, tomber sur un quelconque signe, n'importe quoi qui lui donnerait l'intime conviction d'être espionnée en permanence. Les services de renseignement turiens l'avaient bien découverte, l'autre jour, et elle doutait que ces salauds ne la lâche pas d'une semelle. Même son équipage la laissait perplexe, comme si elle n'avait pas vraiment d'emprise sur eux. Comme si toute cette histoire n'était qu'une vaste mascarade qui masquait un piège qui se resserrait petit à petit sur elle.

Indéniablement, Nys était paranoïaque, du moins plus que la normale. La drogue aidant, probablement. Puis lorsque Jack arriva, elle pu se concentrer sur autre chose. Accoutrée de son uniforme militaire, il eu d'abord une hésitation légitime, avant de lui offrir un sourire et une étreinte amicale qu'elle n'essaya ni d'interrompre ni de poursuivre. La situation la gênait malgré elle, et son visage affichait toujours la même expression. Elle le laissa parler le premier ; elle baissa la tête, le regard mêlant mélancolie et tristesse, puis se tourna et alla appuyer ses deux mains sur un rebord. Elle soupira un grand coup, soudainement pensive. Il lui fallut un bref moment de silence avant de répondre.

" L'envie ? Laisse-moi rire... Ces enfants de salauds m'ont eu, Jack. "

Ses doigts se crispèrent sur la rambarde en même tant que les fibres de son corps se tendaient. Elle avait beau les insulter, les dénigrer ou autre, il n'empêche que c'était la seule famille qui lui restait. L'armée, c'était aussi le seul endroit où elle avait toujours su tirer le meilleur d'elle-même. Bien qu'elle n'en aimait pas les méthodes et la discipline, elle s'y pliait la plupart du temps. Sauf à celles consistant à la piéger.

" Y a quelques jours, j'étais sur Piétas. Ils m'ont retrouvé là-bas, et bizarrement ils ne m'ont pas tué. Alors ces cons en ont profité pour me poser un ultimatum : soit je reviens, sois ils me traquent et me butent. C'est pas comme si j'en avais eu l'envie, quoi. "

Elle se retourna pour lui faire face et s'appuya contre la rambarde, bras croisés. Le regard s'était durci, nullement amusé par la situation et ce qui en découlait. Mais bon, elle savait que Jack ne lui en tiendrait pas rigueur. Après tout, il la connaissait plutôt bien.

" Je ne sais toujours pas comment ils ont fais, mais s'ils m'ont trouvé c'est qu'ils ont un œil de braqué sur toi. La Hiérarchie, ou l'Alliance, va savoir, mais qu'importe. Fais juste gaffe à tes fesses, Loco. "

Loco n'était qu'un surnom qu'elle lui avait donné il y avait peu de temps. Cela voulait dire "fou", dans une langue terrienne. Ce type était juste fêlé d'avoir forcé les barrages de des flottes conciliennes lors de la purge de la Citadelle.
« Mais attends, tu sais pas la meilleure... », dit-elle avant de marquer une courte pause, puis de reprendre : « Je suis commandant maintenant ! Ces tarés m'ont foutu au commandement d'un vaisseau et d'un commando. La bonne blague, quoi ! J'me dis qu'ils sont peut-être désespérés... Ou alors je suis exceptionnelle ? Naaan... M'enfin, sérieusement, moi commandant... Le genre de trucs improbables auxquels tu peux rêver mais qui ne sont sensés jamais pouvoir se réaliser. »

Jack ressentit le malaise dés la premiers instants. Nys était visiblement préoccupée...voire angoissée. Quelque chose ne tournait pas rond chez elle, et la tourmentait en profondeur. Son intuition lui fit aussitôt penser que l'uniforme n'y était pas étranger. La turienne avait déserté depuis des années, et sans regrets apparents. Depuis, elle n'avait jamais montré de signes évidents d'une volonté de revenir à son ancienne vie et de servir les intérêts turiens. Oh bien sur, comme tous ceux de cette race, elle gardait une affection pour ses frères et soeurs mais pas au point de rempiler. Surtout aux vues des risques qu'elle encourait auprès d'une cour martiale. Le trafiquant n'était pas bien au courant des peines pour désertion mais il se doutait bien que l'armée n'était pas indulgent avec ses enfants perdus. Et voir Nys afficher une telle tristesse, puis pousser un tel soupire... Il attendit néanmoins qu'elle parle pour réagir. Il ne voulait pas commettre une maladresse.

« L'envie ? Laisse-moi rire... Ces enfants de salauds m'ont eu, Jack. »

Le sang de Dunheim se glaça d'un coup. Eux ? Qui ça "eux" ? La réponse lui parut comme évidente, et ce grâce à l'uniforme. L'armée, turienne sûrement, celle qu'elle avait déserté. "Enfants de salauds" ? Nys ne parlait que très rarement ainsi de ses anciens camarades et supérieurs, uniquement lorsqu'elle était en plein trip. Autrement, Jack s'était souvent étonné du respect qu'elle conservait à leur égard. Si elle ne regrettait pas ouvertement son départ, elle ne haïssait pas ceux qui l'avaient formé et fait bosser pendant des années. Le trafiquant ne pouvait vraiment la comprendre ; ayant d'abord bossé pour un homme qu'il avait adoré avant de se mettre à son propre compte, il méprisait l'armée et la discipline qui y régnait. Mais si Nys se permettait ces mots dures à leur égard...C'est que leurs retrouvailles ne s'étaient pas déroulés de la meilleure des manières. Jack la laissa poursuivre.

« Y a quelques jours, j'étais sur Piétas. Ils m'ont retrouvé là-bas, et bizarrement ils ne m'ont pas tué. Alors ces cons en ont profité pour me poser un ultimatum : soit je reviens, sois ils me traquent et me butent. C'est pas comme si j'en avais eu l'envie, quoi. »

Jack comprit et il cracha par terre, de colère. Les poings serrés et tremblants, il ressentait un besoin impérieux de passer sa rage sur ceux qui venaient de faire un coup pareil à son amie. Okay, ils l'avaient laissé en vie, mais c'était sans doute pour user d'elle comme de chair à canon ! L'éthique, la morale, ces gens là ne s'embarrassaient pas avec et ne reculaient devant aucun moyen dégueulasse de parvenir à leurs fins ! Nys ne semblait pas s'en rendre compte, même si son regard s'était fait glacial. Elle se voyait prise en cage mais comprenait elle que ce n'était qu'un premier pas vers la mort ? Il voulut la mettre en garde, lui hurler de ne pas y aller, mais déjà elle enchaînait.

« Je ne sais toujours pas comment ils ont fais, mais s'ils m'ont trouvé c'est qu'ils ont un œil de braqué sur toi. La Hiérarchie, ou l'Alliance, va savoir, mais qu'importe. Fais juste gaffe à tes fesses, Loco. »

Jack, tout en restant grave, se contenta de hausser les épaules. Cela faisait des années qu'il était recherché et placé sur les listes noires des criminels notoires. Des années qu'il échappait aux tentatives de capture et de meurtres de chasseurs de prime ou de flics... Et il était toujours là, sans jamais avoir connu la prison. Au final, il rendait trop de services à des gens trop importants pour s'inquiéter. C'était l'intérêt d'accepter les contrats les plus dingues : on devenait indispensable. Jack sourit néanmoins, lorsque Nys l'appela "loco". Un bête surnom, qui venait de sa tentative réussie de fuite de la citadelle, alors qu'il avait la hanche trouée par trois balles de Vindicator. Il eut soudain envie de la prendre dans ses bras, de la rassurer et de l'emmener très loin à nouveau, comme ce jour là où il avait déjoué tous les pronostics, où son culot les avait sauvé. Mais il n'en fit rien. Elle n'avait pas terminé.

« Mais attends, tu sais pas la meilleure... Je suis commandant maintenant ! Ces tarés m'ont foutu au commandement d'un vaisseau et d'un commando. La bonne blague, quoi ! J'me dis qu'ils sont peut-être désespérés... Ou alors je suis exceptionnelle ? Naaan... M'enfin, sérieusement, moi commandant... Le genre de trucs improbables auxquels tu peux rêver mais qui ne sont sensés jamais pouvoir se réaliser. »

Jack ne partageait pas son enthousiasme, qu'il pensait d'ailleurs un peu forcé. C'était sans doute là une promotion exceptionnelle... Mais qui n'irait pas sans un prix à payer. Il affichait clairement, sans le vouloir, une profonde inquiétude pour son ami et ne put s'empêcher de le lui déclarer plus longtemps.

« Nys... T'es bien sure de ton coup ? Je veux dire... Ca te parait pas étrange qu'il te donne, à toi une déserteuse, le commandement d'un vaisseau alors que tu aurais dû passer directement en cours martiale et au poteau ? L'armé n'est pas clémente pour rien. Si ils t'ont filé tout ça, c'est qu'ils ont une idée derrière la tête...Et je pense pas que ça soit ta survie. » Gêné et désireux de ne pas la brusquer, il s'approcha lentement, jusqu'à lui prendre la main. « Nys...J'abandonne jamais mes amis. Et ce coup là, je le sens vraiment pas. Mon instinct me dit qu'on va t'envoyer te faire tuer pour arranger les petites affaires de quelques connards bardés de médailles. Un piège, voilà ce que c'est ! Ne te jettes pas dedans ! Tu sais, on pourrait s'enfuir. S'en aller loin, sans laisser de traces. Ils m'ont jamais chopé en plus de 15 ans, pourquoi ça changerait ? T'es pas obligée de suive cette voie. »

Il n'attendait pas de réponse immédiate et se détourna pour admirer le ciel. Prés de la moitié de sa vie à parcourir cet espace infini, c'était assez pour en connaître des coins aussi éloignés qu'accueillants. Avec l'argent qu'il avait amassé, Jack pouvait se permettre de prendre sa retraite et de vivre confortablement avec Nys, Nikita et son équipage sur une planète peu regardante sur ses activités passées. Si Nys acceptait, il le ferait sans hésitation. Sa vie passait avant son amour du risque et du voyage. Il sourit et repensant à son avertissement. L'alliance après lui ? Ca faisait un gros pêcheur pour un petit poisson !

« Mais surtout, t'en fais pas pour moi. Je suis de la race des increvables ! J'ai survécu à la guerre contre les moisonneurs, à la purge de la Citadelle, à la traque d'Eclipse... Même si l'Alliance toute entière me chasse, je m'en sortirais !

Jack regarda Nys dans les yeux, avec une profonde affection. Perdre son argent, son vaisseau, sa vie même... Tout était préférable à l'idée de perdre l'une de ses deux véritables amies.