Cinq mois. Cinq. Long. Mois. C'est le temps que le pôle médical de l'Unité Concilienne d'Intervention et de Protection était resté sans capitaine à son bord. Á devoir gérer le démantèlement des différents laboratoires temporaires à la suite de l'extinction de l'Énergie Noire. Á devoir gérer les conférences scientifiques mises en place afin d'exposer les bienfaits de la coopération. Á devoir gérer un tas d'autres conneries chronophages. Mais ils l'avaient fait. Parce que c'était son équipe, des individus triés sur le volet. Des professionnels en qui le colonel pouvait avoir une confiance aveugle. Il n'était qu'une vingtaine au sein des troupes permanentes. Mais c'était sa vingtaine à elle. Son orgueil.
Même si certains lui tapaient sur le système comme Larco. Ou Larcon. Elle les appréciait tous. Des médecins de terrain endurcis aux rats de laboratoire insouciants. Son retour au sein de l'équipe avait été dignement fêté, permettant de trouver une excuse pour passer une journée à buller, et de passer la soirée à boire. Ils avaient bu à se démonter la tête au point de pas r'trouver le chemin d'la maison. Même Arcadia - que Shura qualifiait de puits sans fond lorsqu'il s'agissait d'alcool - avait terminé rincé. La métaphore : « Rentrer à quatre pattes » n'avait jamais paru aussi réelle. Même Mipha N'Kavar d'habitude si sage avait succombé à la tentation.
Il avait bien fallu deux jours au service pour décuver entièrement, épuisant en bonne partie le stock de citrate de bétaïne pour aider le foie à éliminer le surplus d'alcool. Deux jours dans un silence mortel, sans qu'une seule porte ne claque, sans qu'un mot ne soit plus haut que l'autre.
Le calme revenu, la revenante avait pu se concentrer entièrement à son travail. Une demie année d'absence s'était accumulée sur son bureau, des documents consacrés à la peste du 23ème siècle, les projets passés et futurs, des invitations et des milliers d'e-mails aussi bien interne à l'organisation qu'externe. Ce n'était que maintenant qu'elle le découvrait à quel point sa notoriété avait explosé au sein de la communauté scientifique, passant de la case banal médecin chirurgien à héroïne de guerre.
La Martienne avait passé la plus grande partie de l'année dernière à s'élever contre l'EN, l'arme au poing, la repoussant chaque jour un peu plus, travaillant seule ou de concert sur tout ce qui pouvait endiguer la progression du virus. Tout son travail. Tout ses sacrifices. Tout le sang versé. Cela avait payé. Fière de son parcours ? Oui. Il n'y avait aucun mal à le dire.
Petit à petit elle marchait dans les empreintes de géant que son père avait laissé derrière lui. Nanobiologiste de talent, reconnu galactiquement, la tête sur les épaules et un monstre d'humilité. C'était pour sa fille un idéal à atteindre. Pas pour la célébrité. Encore moins pour la reconnaissance. Mais pour le rendre fier, lui. Pour lui montrer qu'il n'avait pas une idiote pour enfant.
Aujourd'hui, elle se rendait compte que sa parole avait prit de l'importance. Ces conseils seraient écoutés, son opinion entendue. Cela signifiait une plus grande prudence lorsqu'elle ouvrirait la bouche.
L'annonce de sa reprise de service avait fait grand bruit. Des messages par dizaine affluaient. Un faire part pour une visite officielle, une sollicitation sur un sujet médical, une demande d'intervention lors d'une assemblée. Le corps médical la demandait aux quatre coins de l'Espace Concilien et même au delà. Le fait d'avoir intégré temporairement les rangs de l'Hégémonie ou d'avoir travaillé avec Haratar n'y étaient certainement pas pour rien.
Ainsi s'écoulait ses journées. Alternant les réponses avec ses interlocuteurs, gérant le nouveau budget alloué à son pôle... Qui au passage avait drastiquement baissé à la suite du retour à la normale. Il fallait ajouter à cela l'organisant des emplois du temps suite au départ de certains pour l'Espace Frontalier ainsi que les nouveaux projets à venir.
«
Encore, souffla la toubib désespérée.
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Qu'est-ce qu'il y a ? Questionna Mipha. L'Asari était confortablement installée sur le canapé qui occupait l'un des angles de la pièce triant les données que sa supérieure n'avait pas encore eu le temps de consulter. La blonde s'entendait à merveille avec sa seconde. Malgré son jeune âge et son enthousiasme, elle était douée. Nul doute qu'elle deviendrait une pièce majeure au sein de l'UCIP dans les années à venir.
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C'est encore cette pharmacie qui me demande un enregistrement vocal. « Je suis le Colonel McKnight et cette pharmacie est ma favorite de la Citadelle ». Je ne vais quand même pas m'abaisser à ça. Les suppots et le viagra sont les mêmes partout. Non mais ils imaginent vraiment que je suis à ce point en recherche de gloire et d'attention ?Mipha gloussa avant de lui décocher un sourire espiègle.
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Qui sait ? Avec l'absence de ta chérie, tu pourrais être en manque de quelqu'un qui te rappelle à quel point ton génie est incroyable. C'était aussi la seule du service au courant de la relation qui l'unissait à Shura. La praticienne lui faisait suffisamment confiance pour qu'elle garde cette révélation secrète.
Souriant à son tour, le colonel froissa une feuille de papier et visa l'alien.
«
Arrête de raconter des conneries et bosse au lieu de fantasmer sur ma vie de couple. »
Reprenant leur travail avec un semblant d'assiduité, elles échangèrent de temps à autre sur des sujets qui nécessitaient des précisions. Cela ne dura guère longtemps.
«
Merde, s'étrangla la chirurgienne.
Je vais être à la bourre pour mon rendez vous chez le kiné. Mipha je te laisse fermer mon bureau. Je dois absolument y aller ! A demain !-
A demain Arcadia !»
Échangeant sa blouse blanche pour une veste en jean, la blonde fila rapidement vers la sortie, appelant un taxi à la station en face des bureaux de l'Unité. Une fois assise dans le véhicule, elle se laissa aller à un profond soupir. Elle était complètement en décalage avec le monde du travail. Non pas qu'elle était mécontente d'être active de nouveau, mais elle n'avait définitivement plus le rythme dans la peau.
Le docteur avait passé le mois dernier à se remplumer, ainsi qu'à retrouver une bonne condition physique. La charpente de son buste s'était épaissie, les côtes autrefois saillantes laissaient place aux muscles. Le coffrage de ses jambes accueillaient quadriceps et mollets qui s'affermissaient de jour en jour. Tout comme l'armature de ses bras se regonflant et se renforçant à chaque exercice. La natation ainsi que la course à pied lui avait permit d'expugner une partie de son oisiveté.
Hélas sa main gauche restait toujours un handicap. La militaire regarda son membre blessé, qu'elle ramena sur ses jambes. Ses phalanges pouvaient se mouvoir un peu plus chaque semaine, attraper un verre n'était plus aussi éreintant, bien que couper son steak restait une réelle épreuve. Il lui manquait encore la poigne, cette force pour écraser, frapper, cogner. Mais cela revenait. Elle le sentait au fond de son vif.
Ses doigts valides vinrent s'enrouler autour de l'anneau en argent qui retenait le tour de cou, laissant ses pensées vagabonder vers Shura en espérant que tout aille au mieux pour elle.
Arrivée à l'hôpital militaire, elle alla s'enregistrer, légèrement soulagée de savoir que sa collègue avait un peu de retard. Arcadia patienta quelques minutes dans la salle d'attente jusqu'à ce qu'elle soit appelée. Comme à chaque séance, les résultats étaient encourageants. D'ici la fin septembre elle aurait pleinement récupérée la motricité de sa main. De plus on lui annonça que la greffe de son œil pourrait se faire dans la quinzaine à venir. Adieu bionique !
La toubib ressortit, rayonnante après toutes ces nouvelles. Les douloureux souvenirs du clan McKnight ne seraient bientôt plus que poussière. La Martienne passa devant le petit jardin de l'hôpital ou plusieurs convalescents profitaient d'un «
bain de soleil ». Un peu à l'écart une silhouette et un faciès qui lui rappelait quelqu'un. La mémoire lui revint peu à peu. Décidément les Spectres étaient abonnés aux hôpitaux...
Arcadia arriva derrière le fauteuil roulant, s'arrêtant à quelques centimètres de la Turienne.
«
Je connais un docteur qui doit avoir une sacrée tâche sur son dossier », lança ironiquement la blonde.