Assise derrière son bureau noir laqué, la fenêtre percée à sa gauche laissant transparaître une lumière rougeâtre si habituelle à Omega, Kira Nae Châne pianotait à toute allure sur son ordinateur. De l’autre côté de la porte, la journaliste entendait l’effervescence de son petit journal, les longues foulées de personnes pressée, les appels téléphoniques à répétition, tout prouvait qu’une nouvelle grave se profilait. Quelque chose allait tomber, quelque chose de lourd et, qui disait lourd, disait utile au journal.
Depuis quelque temps, de nombreux bruits couraient sur une infection quelque part du côté de la mer pourpre. Pour le moment, rien de bien grandiose ne filtrait, jusqu’à ce que tombe une vidéo de Chasca. Une rixe particulièrement violente en pleine rue, sous le regard ahuri des habitants. Ca accouplé aux séries de meurtres…
La nouvelle tomberait, un moment ou un autre, et Jarod se devait d’être dans les startings blocs lorsque cela arriverait.

- Une nouvelle vidéo a été posté sur l’extranet il y a quelques heures. On vient de tomber dessus, annonça Lyhn, sa collègue Asari, en entrant dans le bureau.

Kira Nae s’étira de son long, aplatissant le dossier de son siège dans un long bâillement retenu.

- Tu devrais rentrer chez toi Lyhn, déclara la Drelle, je ne pense pas qu’il se passe grand chose d’autre pour cette nuit, et j’ai besoin d’avoir quelqu’un plus en forme que moi demain.

Lyhn refusa catégoriquement. Les cernes qui lui ceignaient les yeux ces derniers jours ne semblaient pas lui poser problèmes. La journaliste se remémora à leur début, lorsque la Drelle et l’Asari passaient des nuits blanches à démarcher des contacts et les fonds nécessaires pour développer Jarod. L’Asari avait été d’une aide plus que précieuse, bien que le journal appartienne en majorité à la Drelle, sa réussite ne serait pas ce qu’elle était si Lyhn n’Liory ne s’était pas décidée à mettre son nez dedans.

- N’oublie pas ton rendez-vous de demain, lui rappela sa patronne, il vaut mieux que tu y ailles sans ces cernes, crois-moi !

L’Asari plaqua un sourire de façade sur son visage. Malgré ce qu’en pensait Kira Nae, Lyhn n’avait jamais paru partager entièrement l’amitié qui s’était créé entre les deux femmes. Leur relation demeurait, malgré tout, celle d’une patronne a une employé et un fin mur de verre s’imposait toujours entre elle deux, au grand dam de Kira Nae.
Toutefois, loin d’être associable, la Drelle devait admettre qu’elle préférait éviter de compter trop de personne dans son cercle d’ami. Un ami se transformait toujours en faiblesse à un moment ou un autre.

Finalement, après une nouvelle heure passée à écumer la toile, Kira Nae abdiqua, épuisée d’une journée bien plus longue qu’à l’accoutumée. En quittant son bureau, elle salua les trois personnes restantes d’un léger signe de tête. Lyhn ne sembla pas la remarquer, peu importait, ils se reverraient tous le lendemain de toute manière.
Errer dans les ruelles d’Oméga seule n’était pas vraiment la chose la plus judicieuse à faire, toutefois la Drelle, habituée à vivre sur la station, ne se faisait pas tant d’inquiètude. Par moment elle activait aléatoirement son camouflage optique, le temps de faire quelques mètres supplémentaires notamment au moment des intersections, petite manie qu’elle avait très vite prise depuis son arrivée il y avait maintenant près de 16 ans.
Ce fut perdue dans ses pensées et sa fatigue qu’elle atteignit enfin son loft, verrouillé par empreinte digitale.
Elle ne sentit pas ce soir là la lourde atmosphère du danger qui rôdait, celle qui l’entraînerait quelques heures dans une situation qu’elle ne serait pas prête d’oublier.

-Je suis vraiment pas sûr de ce qu’on fait, Mira.
-Comment ça ? ça fait des mois qu’on en parle, qu’on prépare tout, là pour le coup, tout est tellement bien millimétré et scripté que faire une erreur relève du génie. Même pour moi.
-C’est pas ça… Est-ce que c’est vraiment bien ? Par rapport au Réseau, tout ça.
-Écoute, tant qu’on ne se fait pas pincer, tout ira bien. Y a des milliers de salauds dans les Agents du Courtier. Et puis on lui offre un dossier complet sur la patronne d’un journal !
-Si tu le dis… Bon, prépare-toi, elle est sortie de son camouflage, elle arrive sur toi.

Mira soupira à travers son casque. Elle était affalée dans une épave de taxi dont la carrosserie avait été rongée par la rouille et trouée par de multiples impacts de cartouches thermiques. Les portes avaient toutes été arrachées sans vergogne, ce qui avait permis à Mira de se glisser à l’intérieur et de s’allonger sur la banquette arrière du véhicule. Elle attendait là depuis le début de l’après-midi. Namir et elle avaient été contactés récemment sur l’adresse qui servait à leur couverture de mercenaire, pour un kidnapping. D’ordinaire, le duo aurait refusé, mais, d’une part, ils étaient quelque peu affaiblis financièrement depuis que Mira avait eut la folie d’acheter un lance-grenade, et d’une autre, la cible était intéressante.

Kira Nae Châne. Une drelle à la tête d’un journal nommé Jarod. Son nom et des informations à son sujet seraient parfaits dans les archives du courtier.

Mira sortit difficilement de sa cachette et s’étira pour enfin commencer à marcher. La voiture était dans une ruelle adjacente à celle où Kira habitait. Mira s’arrêta à la sortie de sa ruelle. Lorsqu’elle aperçut enfin sa cible, Mira se lança sur ses pas. Sa marche était rapide et discrète. Elle s’arrêtait ponctuellement, camouflant sa présence dans l’ombre. Elle reproduisit ce manège jusqu’à ce que la drelle arrive à l’entrée de son appartement. À ce moment-là, Mira sortit de l’ombre, courant presque vers la propriétaire de Jarod. Les trois doigts de Mira plongèrent dans une des poches dorsales de sa combinaison et en sortir une seringue. L’instant d’après, l’aiguille pénétrait la peau écailleuse du cou de la drelle. Un son aigu et graduel informa à l’agresseur de Kira que le liquide de la seringue avait entièrement était envoyé dans son corps. L’aiguille sortit immédiatement du cou de la victime tandis que le corps de cette dernière vacillait.

Kira fut violemment posée sur une chaise, encore inconsciente. Ses ravisseurs avaient eu un mal fou à la porter. N’étant pas habitués à ce genre d’exercice. Mais maintenant, d’épaisse menottes métalliques s’étaient refermées sur ses chevilles et ses poignets. Des pas raisonnèrent, une dispute en murmure sur le dosage du somnifère administrait à Kira s’éleva et une porte s’ouvrit rapidement, ne laissant filtrer qu’un fin rayon de lumière dans la pièce plongée dans la pénombre. Le rayon ne dévoila qu’une salle carrée dans laquelle se tenait divers plans de travail en désordre. La deuxième personne à être restée activa son omnitech et pianota quelques instants dessus, créant une mince source de lumière. La pièce était si sombre maintenant que la porte s’était refermée, l’obscurité était totale.

Mais alors que l’omnitech disparu, une lumière bleue apparue. Puis disparue. Il s’agissait en réalité d’hologramme qui projetait des silhouettes d’alienne aléatoirement. Butarien, turien, vorcha, galarien, quarien, humain et drell. Les silhouettes étaient relativement mixtes en termes de parité et suivait à merveille les mouvements de la personne qui se cachait derrière elle. Ses projections holographiques, en plus de perturber la prisonnière empêcheraient les yeux de cette dernière de s’habituaient à l’obscurité. La personne qui retenait Kira prisonnière sembla nonchalamment se tourner vers une table et manipuler des objets entre eux. Tout en laissant les lumières bleues éclairer la drelle qui ne tarderait pas à se réveiller.

Noir. Douleur aiguë. La tête lui tourne, elle sombre à nouveaux quelques instants.
Noir, toujours. Elle sent quelque chose de froid autour de ses poignets, quelque chose de dur.
Elle ne bouge pas, elle ne peut pas de toute manière, entravée à quelques chose qui la maintient assise. Et toujours ce noir partout ! Elle sombre encore, la tête emplit de d’image furtive et saccadée.
Lumière bleue, vive, agressive. Kira cligne rapidement des yeux, tentant d’effacer l’image instantanée fixé au fond de sa rétine. Quelqu’un...Quelqu’un !
Nouvelle agression visuelle. Et Kira se réveille bel et bien attachée sur une chaise.

La Drelle observa quelques instants le monde sombre qui l’entourait. Son crâne balançait une douleur lancinante et une, plus faible, à l’endroit où l’on venait vraisemblablement de lui picoter le cou. Tentant tant bien que mal de récupérer un semblant de lucidité, la journaliste ne pu retenir son cerveau reptilien de lui asséner une montée fulgurante d’adrénaline et de panique, la faisant quelques minutes s’exciter sur son siège en espérant pouvoir détacher ses liens par la force de ses mouvements inutiles et incontrôlé.
La lumière bleutée arriva une nouvelle fois. C’est quelques secondes lui suffirent pour identifier une vague silhouette Butarienne malgré ses yeux se rétrécissant sous l’effet subite de l’éclairage.

- Calme toi Kira...Se sermonna-t-elle intérieurement. Tu as été visiblement enlevée. Réfléchi !

Mais la réflexion demandait un effort si considérable ! Et céder à la panique semblait tellement plus simple, plus organique. Aussi prit-elle plusieurs minutes à respirer, laissant à son esprit le temps d’accepter la situation. Malgré toutes ses tentatives, le noir l’entourant offrait une atmosphère si oppressive et inconnue qu’elle ne parvint pas totalement à atténuer les soubresauts de sa poitrine et le sifflement de sa respiration haletante.
Nouvel éclair bleuté. Un humain. Kira Nae profita de ce moment pour repérer un tant soit peu de choses de l’habitacle où elle se trouvait, mais la lumière ne renvoya qu’un écho blafard de murs vides et inexpressifs jusqu’au retour au noir complet, avec toujours cette foutue lumière imprimé sur la rétine comme un point lumineux dont elle ne saurait détourner le regard.
Kira Nae songea alors aux agresseurs. Étaient-ils là ? A s’amuser de la voir si démunie et vulnérable ? A attendre le moment propice où, après s’être peu à peu adaptée à l’ambiance, ils viendraient ajouter une couche de sueur froide dans son dos ?
L’oreille tendue, la Drelle tenta de sonder le moindre bruit l’entourant.
Peine perdue, rien ne semblait filtrer, elle ressentait bien un vrombissement régulier, peut-être dû à une quelconque machine en fonctionnement, mais ce bruit continue se trouvait en tout coin d’Oméga, rien de bien concluant en somme.
Un nouveau flash bleuté s’accompagna d’un petit déclic et elle entraperçu ce qu’elle crut être une porte.

- Et merde ! Songea-t-elle une nouvelle fois. Il fallait bien que ça arrive un jour !

Aussi la journaliste entreprit de faire rapidement le tour de ses “connaissances” enclines à vouloir s’occuper d’elle le plus rapidement possible. Il y avait bien les Berserkers a qui elle avait parfois posé problème il y avait un moment déjà. La rancune restait tenace sur Oméga, même si Kira Nae ne voyait pas, à cet instant précis, en quoi le groupe aurait eu besoin de l'assommer pour l’attacher alors que la tuer aurait été plus simple et expéditive. Elle ne détenait aucune information compromettantes sur eux, du moins autant qu’elle le sache.
Autre chose. Un concurrent ? Les journaux indépendants foisonnaient sur la station rouge et la récente montée en puissance de Jarod faisait des envieux, cela était indéniable. Néanmoins, leur nouvelle réussite bénéficiait plus à leur annexe à la Citadelle qu’à leur implantation ici, même si leurs contrats auprès du peuple Butarien avaient su leur attirer une certaines sympathie dans les terminus.
Cette hypothèse restait la plus plausible, bien qu’étonnante…
Une dernière question, et non des moins primordiale s’imposa à elle. Qui pourrait savoir où elle se trouvait ? Elle rentrait chez elle lorsqu’on la captura, personne ne s’inquiéterait de son absence avant le lendemain matin à l’ouverture du journal, et encore, il faudrait bien attendre dix voire onze heures du matin avant que quelqu’un ne se décide à l’appeler pour comprendre pourquoi elle ne se rendait pas au travail. Faveur de directrice, personne n’était derrière elle à surveiller ses heures de présence, d’autant plus qu’il lui arrivait souvent d’assurer un rendez-vous avant de se rendre au travail, sans compter les heures effectuée à domicile...Lyhn mettrait quelques temps avant de tilter qu’aucun rendez-vous n’était enregistré et peut-être s’inquiéterait-elle alors de son absence.
Tout cela laissait un large champs de manoeuvre à ses agresseurs…
De quoi la laisser mariner dans son jus à loisir ! Ne lui restait plus qu’à attendre, attendre et voir si quelqu’un se décide ou non à entrer en contact avec elle et improviser...