« Oh mon Dieu... On arrive trop tard. »

La femme, le ton brisé, avait virevolté avec une aisance incroyable dans cette pièce froide, effroyable caricature des taudis parsemant les Terminus. Elle avait enjambé les quelques obstacles qui se dressaient devant elle, pour atteindre un matelas, posé à même le sol, sur lequel reposait un corps. Elle n'y voyait pas grand chose puisque la seule lueur qui pouvait éclairer l'endroit peinait à se rendre utile. Pour cause, son collègue - un turien relativement imposant orné d'une armure lourde - était rentré, arme à la main et lampe sur arme. Il jeta un coup d'œil rapide sur les trois mètres carrés du débarras avant d'orienter la lumière sur la voix qui s'estompait encore, dans un souffle. Le teint hâlé, l'indienne avait posé la main sur le bras du corps, pâle, frigorifié. Son désespoir allait bientôt être partagé par le soldat. Il avait jeté tout le feu du projecteur sur une autre femme, étendue là, sans vie. Elle avait des cheveux fins, bruns, probablement n'avait-elle même pas atteint la trentaine. Il n'y avait rien de plus qui pouvait la décrire, si ce n'est les tâches de sang qu'elle avait sur elle et qui devait logiquement lui appartenir.

« Merde. » lâcha le turien, tout naturellement. Il baissa quelque peu sa garde. Bientôt, seul un tableau macabre allait se dessiner devant eux puisque les couleurs grises et azur laissaient leur place à un rouge éteint. Et dans ce tableau, une ombre venait planer sur eux. Un homme, arborant un équipement plus passe-partout, venait de débarquer. Il n'avait même pas eu besoin d'entrer pour savoir ce que ses agents avaient trouvé à l'intérieur. Mais il devait s'en assurer, constater de ses propres yeux qu'il avait échoué. Échouer à protéger quelqu'un qui n'avait rien demandé. Il fallait dire que dans sa palette, il était plutôt connu pour être quelqu'un de dangereux avec une fâcheuse tendance à semer les cadavres derrière lui. Et peu importe le nombre de fois qu'il changeait de nom ou de visage, cette malédiction lui collait à la peau.

Il aurait pu craquer. Il aurait pu tout envoyer balader dans ce maudit taudis, criant sa douleur. Ou bien il aurait pu s'effondrer. Mais il n'en fit rien. Il restait d'un calme plat, impassible, sans aucune réaction. Circonspects, ses subordonnés suivirent son exemple, si bien que l'atmosphère devenait tellement lourd qu'il en était devenu palpable. Et soudain, un galarien passa à vive allure, cassant cette zone presque intemporelle. Sans demander son reste, il s'agenouilla près du lit. L'air affolé, il inspecta le corps, d'abord sans artifice, avant de sortir son omni-tool. Une suite d'hologrammes s'échappèrent de l'engin tandis qu'il sondait chaque organe, chaque once de l'anatomie de la malheureuse. Jusqu'au moment fatidique où un capteur clignota, émettant un son brisant définitivement le silence ambiant. « Elle est encore en vie ! » s'exclama le scientifique. « Mais son pouls est extrêmement faible. Il faut la ramener au vaisseau, et fissa. »

Les sourcils froncés, l'homme qui était resté planter là. Il avait l'air de revivre, inspirant un grand coup.
« Sevrus, si tu veux bien... » marmonna t-il en remuant la tête en direction du galarien. Le turien avait naturellement compris le message. Il rangea précipitamment son fusil avant de disparaître dans l'encadrure de la porte. Son supérieur en profita pour s'avancer. « Je t'ai donné une chance, Dalthemys. » fit-il à l'intéressé. « Ne la gâche pas. » Le ton avait fait tressaillir Dalthemys. Entre deux douloureuses respirations, il avait acquiescer.

Quelques secondes plus tard, Sevrus était revenu en compagnie de deux personnages probablement insignifiants et de matériel nécessaire pour déplacer la blessée. Étant donné le peu d'espace vital qu'il restait au personnel incompétent, il se résigna à partir. En sommes, l'indienne et l'imposant s'étaient extirpé de là. Ils se retrouveraient alors dans une ruelle tout aussi peu recommandable et polluée, en plus de ça. « Je sais ce que tu vas me demander mais... Je ne peux pas. » toussota l'humaine, lucide. Elle avait vu son regard se poser sur elle, comme s'il la désignait comme responsable de ce fiasco. « Tôt ou tard, tu vas devoir choisir ton camp. C'est eux ou c'est nous. » Dans la discrétion la moins absolue, le quatuor des urgentistes improvisés avaient déguerpit hors de l'appartement - si on pouvait appeler ça comme ça. Pressés, ils contournèrent leurs alliés et ainsi, ils purent voir tous deux leur amie ensanglantée dans le brancard. Peu importe ce qui se passait, elle en était la victime.

Malgré toute la volonté et la loyauté dont elle avait pu faire preuve auparavant, Mira n'avait pas su se retenir. L'image qu'elle avait vu... Son amie mourante... Elle ne pourrait le pardonner. Elle avait donc trahie les siens - les assassins - en indiquant où allait se trouver celui qui était responsable de tout ça. Évidemment, dans la Galaxie, il était impossible que tous se connaissent. Mais dans ce cas-ci, il s'avérait que l'intéressé était une connaissance de l'indienne. C'était un galarien du nom de Cirtis. Pas de la pire espèce, pas non plus le plus efficace ni même le plus coûteux. Il effectuait un travail correct, sans s'embarrasser de trop de détails ou de subterfuges et il était donc quasi-impossible de reconnaître son œuvre, tellement elle était passe-partout comparativement à celles de ses compères. Au final, pour celui qui savait chercher, c'était ironiquement son attrait pour la luxure et son manque de moyen qui le rendait aisément visible. Son équipement électronique était dépassé et le cryptage datait d'au moins une décennie. Les pauvres flics des colonies s'alimentant encore à une technologie basique, ils n'y voyaient que du feu. Effectivement, Cirtis a cette mauvaise habitude de voler les crédits de ses victimes. Un simple balayade dans l'omni-tool de ces dernières et on pouvait y retrouver sa signature. Et après tout, justement, c'était peut-être délibéré... Mais Mira ne le pensait pas suffisamment futé pour ça.

Quoiqu'il en fusse, il avait instamment dépenser sa petite trouvaille dans une place sur un cargo de transport, à destination de Decoris. Et dans le même ordre, il avait soudoyé la compagnie charger de protéger le vaisseau. Simple excès de paranoïa ou bien avait-il pris conscience d'où il avait mis les pieds ? Cela n'avait que très peu d'importance. L'important, c'est qu'il serait à bord. L'opportunité était trop belle. Sevrus avait pris soin de réserver l'entièreté du voyage, exception faite pour le galarien. In fine, il attendait à l'intérieur, probablement satisfait.

Enfin, pour sûr, il arborait une mine satisfaite. Et bientôt, il allait être malencontreusement dérangé, puisqu'un admirable homme d'affaire venait de s'installer à côté de lui. Costume trois pièces, typiquement humain. Probablement un investisseur quelconque, devait-il penser. Si bien qu'il se sentait tout à fait capable d'engager la conversation. « Vous pourriez reculer de quelques places, peut-être ? » pesta t-il, à la limite de l'ingratitude. « Enfin, le cargo n'est pas si plein... » « Non, ne vous inquiétez pas, j'aime aussi la tranquillité. » coupa l'homme. « C'est pour cette raison que j'avais pris soin de demander à mon assistant de prendre les places uniquement à mon nom, mais il semblerait que ce soit un véritable bon à rien. »

Il imitait à la perfection le plus insupportable des businessmen et ipso facto, Cirtis se laissait prendre au jeu. « Navré. Il va falloir cohabiter le temps d'un voyage. » conclut-il. « Je ne risque pas de vous incommoder longtemps. » ricana t-on, en face. N'ayant pas eu conscience de l'ampleur de la blague, il resta totalement impassible devant le rictus de son interlocuteur. « Mon nom est Joshua, au passage. » Il tendit la main, un sourire amical aux lèvres. L'assassin hésita, un petit moment. « Mepnos. » concéda t-il, sans oser la poignée de mains. « Enchanté, Mepnos. Sans indiscrétion, qu'est-ce qui a bien pu vous amener sur Watson ? » Il allait sans dire qu'il était plus qu'indiscret. « Les affaires. Et vous, mise à part pour agacer les inconnus ? » La réponse tout en sarcasme n'avait pas déplu à "Josh" mais cette conversation de faux semblants n'avait que trop duré. « Oh, je suis juste venu rendre visite à une amie. Elle s'appelle Lindsey. » "Mepnos" haussa les épaules, n'ayant pas encore percuté. « Mais je pense que vous vous êtes croisés, non ? »

Là, en revanche, il avait percuté. Tout comme la balle qui venait de se loger, d'un coup opportun, dans l'une de ses jambes. Affaibli, il tomba à la renverse, souhaitant sortir son arme. Son tortionnaire avait nettement pris l'avantage et asséna un coup de pied sur la main frêle du galarien. Aussitôt, son Phalanx vola au loin. N'ayant plus aucune ressource, il se contenta de lancer un regard plein de détresse aux deux gardes, plantés là et immobiles. « L'ironie, c'est qu'ils travaillent pour moi. » expliqua l'imposant, qui surplombait complètement son adversaire apeuré avec sa grande taille. L'ironie poursuivait ce pauvre Cirtis, puisqu'il avait choisi l'un des seuls cargos gardés par Zodiak. « Pitié, je vous donnerais ce que vous voulez. Je peux vous dire qui m'a engagé ! » supplia t-il. « Moi qui pensais que les assassins ne dénonçaient jamais leurs employeurs... » rétorqua t-on. « Mais c'est pardonnable. Après tout, il t'a envoyé mourir ici. » Sans plus de tergiversation, Josh leva son arme en direction du crâne de Cirtis. « Non, attendez, je ne veux pas mour... » La phrase était parti en éclat, dans un bruit sourd, tandis que du sang gisait maintenant sur le sol. Le tueur, tué.

« Nettoyez-moi ça. » ordonna l'homme aux gardes. « Et évidemment, vous ne m'avez jamais vu ici. » Les deux mercenaires faisaient désormais parti d'un petit cercle qui avait vu le véritable visage de leur dirigeant. Mais pour cette vengeance, c'était un prix à payer plus que raisonnable.

Il y avait toutefois un prix que Vassily Varto ne pensait pas devoir payer. Trop obnubilé par l'idée de retrouver l'assassin qui avait osé s'en prendre à Lindsey, il n'avait pas suivi ses agents. Au fond, c'était une forme d'échappatoire à ce qui allait arriver. Sauf qu'il n'avait pas été là quand c'est arrivé. Et personne n'a eu le courage de le lui annoncer. Alors il était assis là, troublé, devant elle. La tête baissée, les yeux clos. Il était dans le noir le plus complet, si bien qu'il n'avait pas eu une silhouette s'approcher de lui. « Elle est morte avant même que nous soyons à mi-chemin. » murmura une voix rauque. « Je... Je suis désolé. » Sevrus hésita un petit instant mais n'osa finalement pas poser la main sur son mentor. Au final, il ne savait que dire. Il avait connu de nombreuses campagnes, au sein des Soleils Bleus. Et il avait perdu de nombreux camarades. Mais cette fois, c'était différent. Lindsey avait été une cible et ils avaient été incapable d'empêcher quoique ce soit. Chacun avait sa réaction. Mira pourrait cacher son désespoir et sa tristesse ; elle avait été entrainée pour ça, mais elle ne pourra pas empêcher ses émotions de l'atteindre. Plus pragmatique, Dalthemys avait conscience que son inaction le rendait responsable et il devait craindre des représailles... Mais si une fuite serait tout à fait inscrite dans ses gênes, il savait que ça signerait son arrêt de mort. Et enfin, Sevrus, lui, était rongé par la culpabilité.

Il ignorait ce qui pouvait bien traverser l'esprit de Varto, lui qui était d'habitude si impassible et qui, une fois de plus, demeurait silencieux. Subséquemment, le turien ne voulut pas insister et tourna les talons. « Elle était morte depuis longtemps. » C'était comme s'il s'était réveillé d'un coup, faisant par ailleurs légèrement sursauter le soldat. « Je l'ai condamné quand j'ai décidé d'arrêter ton père. » Il rouvrit les yeux, par la même occasion. « Il s'est toujours douté que ce n'était pas la fille biologique de James. » explicita t-il, avant d'enchainer. « J'ai toujours voulu lui dire. Mais je pensais la protéger. Et finalement, je ne l'ai pas sauvé. Et elle est morte... Sans savoir la vérité. » Il se redressa, se décidant à regarder son corps sans vie.

« Est-ce que ça aurait vraiment changé quelque chose ? » s'interrogea Sevrus. « Je suppose que non. Mais toute sa famille est morte par ma faute. Je lui devais au moins ça. » « C'était la faute de Seamus, pas la votre. » martela le turien, presque immédiatement. « Je crains que ce ne soit pas aussi simple. » Doucement mais sûrement, Varto contournait le lit alors que son interlocuteur approchait. « Pourquoi donc ?Regardez ce qu'il a fait à l'Ordre. Et aujourd'hui, il se terre quelque part en... » « Je l'ai tué, Sevrus. » Soudain, la piège sembla s'effondrer pour l'intéressé. Il s'était stoppé net, ses mandibules titubant et ne sachant que faire. « Il y a des mois de ça. J'aurai dû te le dire plus tôt. » « Vous... Pourquoi me l'avoir caché ? J'aurai pu l'encaisser. » Varto haussa un sourcil, détachant - pour la première fois de la conversation - son regard de Lindsey. « Ou alors vous craigniez que je veuille le venger ? » « Je n'ai pas exclu l'idée. »

Il avait reculé de quelque pas, s'éloignant quelque peu. « Peu importe le reste, ça restait ta famille. Et puis il n'était pas aussi impitoyable que tu le pensais. Il m'a formé pour l'être à sa place. » se justifiait Varto, tout en reportant son attention la jeune femme étendue là. « Ce qu'il a fait sur Reaperswatch ou à Omega... Il avait du sang sur les mains. Il méritait son sort. » grinçait Sevrus, de son côté. « Et il a celui de Bolton aussi. » « Je comprends ta colère. Mais je sais qui est vraiment responsable, ici. Même si Seamus avait pu, il ne s'en serai jamais pris à elle. Il sait ce que je t'aurai fait après. » Sur cette phrase, il en profita pour se recueillir. Quelques secondes. Il avait juste agrippé, maladroitement, la main de Lindsey. Elle était tellement glaciale qu'il ne put supporter ça bien longtemps.

Dans une longue expiration, il finit par la lâcher, lui lançant un dernier regard. C'était sa manière de lui dire adieu. Et il n'en avait pas d'autres. Il n'y en avait pas d'autres, surtout. Il se retourna, brusquement, et avança d'un pas décidé. Son agent était toujours quelque peu abasourdi par la conversation. « Omega nous attends. » susurra t-il, tentant de le réanimer. Sevrus se contenta d'acquiescer et devant cette réponses positive, Varto passa le pas de la porte. « J'ai comme un air de déjà vu... » soupira le turien.

Armure revêtue, l'ancien Général des Soleils Bleus avait traversé le cuirassé sous l'œil impétueux de tous ceux qui lui étaient resté fidèles - ou bien, qui l'avaient rejoint par la suite. Il était passé par bien des mésaventures. Il était même mort, une fois, épaulé par le Courtier de l'Ombre. Tout du moins, il avait simulé sa mort. Et il l'avait si bien simulé qu'il avait fini par la frôler. Mais ce sacrifice était nécessaire, pour échapper à la surveillance de Seamus Diosys. C'est un nom que la Galaxie ne retiendra probablement jamais puisqu'il a toujours agi dans l'ombre de ses seconds et de ses agents, à l'instar de son ennemi juré. Il était pourtant responsable de bien des fléaux mais son air grandiloquent, ses discours démagogues... Le plus bas et accompli des politiques l'aurait forcément jalousé. Et à raison. Sauf que comme beaucoup, il a fini par tomber dans les travers de ce qu'il croyait dominer, finissant corrompu jusqu'à la moelle. Il était aveuglé par la colère et la haine. Et il a fini par accompagner sa némésis dans la mort.

Varto en était-il vraiment responsable ? Techniquement, oui, mais c'était un concours de circonstances plus qu'opportun. Il s'était laissé guider par une suite chaotique, en bravant l'inconnu et en se perdant lui-même. Il avait ainsi pris l'identité de son défunt frère, Josh Ivrancic, en reprenant le contrôle de sa société. Sous les radars, il s'était glissé sous un masque de mercenaire, crachant à la gueule de l'Ordre qui l'avait auparavant surnommé "Ataan". Son objectif n'était autre que de le détruire, autant par intérêt que par accomplissement personnel... Et pour autant qu'il le sache, il s'était préparé à mourir. Mais il avait survécu. Et plus encore, il ne s'était pas imaginé qu'il participerait à la reconstruction de ce qu'il avait mis tant d'énergie à saccager. Il n'avait vu en Dahl Elkoss qu'un allié fortuit, une tête pensante utile sur le moment. Finalement, il avait été bien plus que ça.

Pourtant, alors que la puissante silhouette du Bellethium s'approchait progressivement d'Omega, pouvait-on faire un bilan si différent de ce que l'Ordre a accompli avant ? Après tout, qu'il le veuille ou non, Varto se retrouvait une seconde fois face à la baie vitrée de son cuirassé, ordonnant aux canons de préparer leurs frappes sur l'astéroïde d'Aria T'Loak. Et pour la seconde fois, les habitants d'Omega - les loyalistes, les rebelles, les mercenaires, les mendiants, tous - revoyaient l'Armure qui les avait déjà terrifié.

« SHHHK. Oméga ne vous a visiblement pas oublié. » avait magnifiquement conclu Dahl, à ses côtés, qui observait le spectacle.

Et non, Omega ne l'avait pas oublié, "lui". Et inversement, il n'avait pas oublié Omega. C'est assez difficile d'oublier un tel crime. Le chaos ambiant qu'il provoquait, les défenses de l'astéroïde qui partait en fumée alors que l'on entendait uniquement les canons rugir... Cela lui provoquait une certaine tranquillité. Après toutes ces histoires, tous ces bouleversements, il en était revenu au même point.

« Home sweet home, volus. »