Elle devait être un monde éden comme sa voisine Selvos, mais Chalkhos n’eut jamais rien d’un petit coin de paradis. C’est sur cette planète, jadis bien plus belle vue de l’espace que depuis sa terre ferme, qu’en 1901 Mère me donna la vie. Je n’ai jamais clairement su comment née sur la merveilleuse et grande Thessia, elle avait atterri au fin fond de la galaxie. Sûrement ne le saurai-je jamais, comme bien trop d’autres choses qu’il est peut être préférable d’ignorer. Mon père était un Drell. Je l’ai déjà vu, mais je ne l’ai pas connu. Mère m’a partagé plusieurs souvenirs de lui en connectant nos esprits. Je crois que ce jour là, elle en avait eu marre de m’entendre la supplier de me parler de lui. Il nous a quitté peu avant ma naissance. Elle m’a toujours dit que c’était dû à un accident, mais si j’y ai cru plus jeune, j’ai compris plus tard qu’il s’était fait descendre. Il était mêlé à des choses pas nettes, et en dépit de sa mort, Mère a hérité de ses dettes. C’est pour cette raison qu’il lui était impossible de quitter Chalkhos. J’ai toujours soupçonné son employeur d’être celui à qui Père devait des crédits, mais je n’en ai jamais eu la preuve. Elle ne me l’a jamais avoué pour sûrement me préserver, mais je crois qu’elle était devenue son esclave à défaut de pouvoir le rembourser. Et je pense qu’il avait dû la menaçer de s’en prendre à moi si elle ne le servait pas.
Nous étions pauvres, et habitions dans le poisseux district de Murzak, au sud du spatioport principal de la colonie. J’ai passé nombre d’années à rêver d’être à bord de l’un des vaisseaux s’envolant, et Mère a dû en faire autant. Mon enfance aurait pu être mieux, mais elle aurait pu être pire. Au moins avais-je encore un parent. Ce n’était pas forcément le cas des autres élèves du centre social et scolaire local où Mère m’envoyait lorsque je fus en âge d’apprendre. Je doute fort avoir eu la même qualité d’enseignement que les Asari de l’Espace Concilien, mais j’y appris les rudiments de l’Histoire et de la Culture de notre peuple. Il y avait souvent des absents, à la voie sûrement toute tracée de futurs trafiquants. Moi, j’aimais bien y aller. Quelque part, m’instruire était un moyen de voyager.
Un peu plus tard, sont notamment apparus dans mon apprentissage les domaines qui me deviendraient plus que nécessaires de maîtriser dans le futur. La Biotique, et puis, la Technologie. Là encore, les programmes devaient probablement être différents et allégés par rapport à ceux que j’aurais certainement pu suivre ailleurs. M’enfin, j’en savais un minimum, ce qui était déjà pas mal considérant d’où je venais. Lorsqu’elle se trouvait à la maison, Mère m'entraînait à développer mes pouvoirs. Ou plutôt, mon pouvoir. Je crois que ça la peinait de voir que je n’étais pas capable d’étendre ma Biotique à autre chose que la Projection. Elle disait toujours, que les formations dispensées sur Thessia et les autres grandes planètes de notre peuple permettaient aux Asari désireuses d’user de leur don naturel, de développer plusieurs pouvoirs rapidement, même des pouvoirs rarement maîtrisables par les autres espèces.
Il m’aura fallu plus de deux siècles pour découvrir que j’en avais un second, et pas des plus communs. Je possède la Stase, ce qui sonne plutôt bien quand je me le dis, sauf que lorsque je l’utilise, ou plutôt que je cherche à l’utiliser,… … disons que cela sonne tout autrement.... Je ne désespère pas néanmoins d’un jour parvenir à faire quelque chose de ce don précieux d’Athamé, et rendre Mère fière, même si j’ai conscience que cela demandera encore beaucoup de temps et d'entraînement. Mais il me sera très utile sur le terrain.
Lorsque je fus en âge de travailler, ce qui se résumait à Murzak à un âge inférieur à celui légal sur les territoires Asari Conciliens, j’ai décroché un petit boulot. Je devais alors être aussi imposante en terme de hauteur que le plus grands des Volus. Le business plutôt lucratif de ma boss de l’époque consistait officiellement à acheter ou vendre toute sorte de matériel. Une espèce de revendeuse d’objets légalement acceptables issus de tous les coins de la Voie Lactée. Mais dans l’arrière boutique, ce sont des choses différentes que ce qu’annonçait la devanture du magasin qui se passaient.
Au début, je faisais plus des tâches d’accueil et de caisse pour les produits présentés. Mais avec les années, ainsi que les compétences et la discrétion dont je fis preuve, j’ai fini par toucher à tout. Surtout ensuite, à ce qu’il y avait derrière… Ce fut d’ailleurs bien plus passionnant, même si avoir entre les mains tout un tas de bricoles issues de mondes pour moi alors inconnus, me permit d’enrichir mes connaissances personnelles sur les différentes espèces galactiques. J’étais payée une misère, pas même de quoi soulager réellement Mère pour nos besoins quotidiens, mais en contrepartie, j’apprenais énormément. En ça, je dois beaucoup à Myria D’Zarhik, même si elle m’a longuement exploitée. C’est finalement bien plus elle, et les trois ingénieurs de l’ombre qu’elle avait à ses ordres, qui m’ont enseigné le plus gros de ce que je sais aujourd’hui. J’ai sûrement appris là bas, bien plus en méthodes de sécurité informatique et technologique que ce que j’aurais pu découvrir dans une Scolarité Supérieure sur Thessia. Inutile de préciser que je n’ai pas, à proprement parler, appris à “sécuriser les systèmes”. Ce fut plutôt l’inverse. Mais l’un reste inhérent à l’autre.
Une saison de pluie de l’année 2021, une Asari mécontente et deux de ses acolytes ont débarqué dans la boutique. Je les ai aperçues via les caméras de sécurité. Je me trouvais à l’arrière du magasin où je travaillais alors à récolter sur l’Extranet des données sensibles d’un concurrent de l’un de nos clients. J’ai pu entendre des éclats de voix entre les trois Asari et Myria, et la seconde suivante, je me suis retrouvée brutalement projetée contre l’établi de derrière. Tout le pan de mur qu’il y avait eu devant moi avait explosé. Sous la violence du choc, je me suis évanouie.
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance des “Soeurs de la Nuit”, un clan peu amical de très puissantes biotiques, et dont le terme de “Baronnes de la Drogue” leur siérait mieux. J’en avais déjà entendu parler par les rumeurs circulant sur Chalkhos, mais opérant vraisemblablement dans l’ombre, leur existence n’avait jamais pu être clairement établie.
C’est par un réveil douloureux, après un trou noir d’une durée qui m’était inconnue, que j’ai repris mes esprits dans un endroit différent. La cellule dans laquelle j’ouvris les yeux n’eut rien de commun avec la chambre miteuse que j’occupais chez Mère. Mais elle avait de moins, la chaleur de la maison… C’est l’Asari ayant eu un différend avec Myria qui débarqua peu après à l’intérieur. De ses propos, je compris rapidement que D’Zarhik les avait doublé sur un contrat. Et il me revenait désormais de le remplir, car de ce que l’on m’expliqua, il n’avait resté plus que moi pour le faire… Ne craignant pas en premier pour ma vie, mais pour celle de Mère, je fus dans l’obligation de coopérer, quand bien même ce que les Soeurs me demandèrent fut à la limite de mes compétences du moment.
Ce ne fut pas une mince affaire, et j’eus peur nombre de fois, mais sous la pression et grâce aux moyens mis à ma disposition, je parvins finalement à les satisfaire. Peut être un peu trop… Car je ne fus pas relâchée. Au lieu de ça, on continua de m’exploiter par la contrainte. Et puis, lorsque l’on me jugea suffisamment fiable pour rentrer chez moi, j’en fus réduite comme Mère pour moi, à travailler avec pour seul précieux salaire l’assurance que rien ne lui serait fait, à condition de ne jamais rien dire de mes activités. Les Systèmes Terminus ont de ça que le chômage n’est pas ici monnaie courante, contrairement à l’esclavage moderne…
Les premières années furent les plus dures, mais au fil du temps, je gagnai la confiance des Soeurs, et n’ayant jamais loué la moindre allégeance à quiconque, on finit par me proposer de les rejoindre, cette fois non sous le statut d’esclave, mais sous celui de disciple. Autant vous dire, que je n’étais pas à l’aise à cette idée. Menacer des gens de leur prendre la vie ou de prendre celle de leurs proches pour les contraindre à faire des choses répréhensibles, ce n’était pas comme cela que j’avais été élevée, quand bien même j’étais rapidement tombée dans l’illégalité. Alors faire partie de mon plein gré d’une organisation à la moralité très discutable, je ne voyais pas cela concevable... Néanmoins, en dépit de certaines de leurs pratiques - et heureusement, je n’avais pas expérimenté les pires -, je finis par accepter l’offre, pour la simple et bonne raison que je voyais en elle le seul moyen qui nous permettrait à Mère et moi, d’un jour quitter cet endroit.
Je devins donc, une Soeur de la Nuit.
Si j’y vis beaucoup d’inconvénients moraux, j’y trouvai certains avantages pratiques. Je fus payée. Certes, pas grand choses à mes débuts, mais toujours plus que ce que me donnait Myria en son temps. Je fus formée. Pas là non plus, comme j’aurais pu l’être dans une grande Académie Militaire sur Thessia, mais suffisamment pour savoir plutôt bien me démerder en situation de combat, et puis surtout parfaire mon entraînement biotique. La grande majorité des Soeurs de la Nuit ont une biotique très puissante, apprendre d’elles m’a beaucoup apporté en maîtrise de ma Projection. Et puis, je fus équipée. Pas d’arme les premiers temps, je n’avais pas suffisamment fait mes preuves, mais on me donna du matériel informatique et technologique que je n’aurais jamais pu m’offrir. C’est ainsi que démarra un nouveau chapitre de ma vie, dont je ne suis pas très fière, mais qui m’a été nécessaire pour réaliser le rêve de Mère, et me permettre à moi aussi, une vie un peu meilleure.
J’ai passé ma première décennie de disciple, à m’occuper des systèmes informatiques peu voire moyennement sensibles de l’organisation. On me chargeait également, de la maintenance des diverses I.V, puis plus tard, on m’affecta à la garde et l’amélioration des systèmes de sécurité d’un laboratoire de confection de Minagen X3. Cette drogue a fait pas mal de morts sur Chalhkos, et sûrement beaucoup d’autres ailleurs… Les gens se prennent pour des Dieux biotiques lorsqu’ils en consomment, et leur addiction finit par les tuer. Lorsque ce n’est pas la substance en elle même qui leur est fatale, ce sont les règlements de compte qui y sont liés. Je ne suis vraiment pas fière d’avoir été mêlée à tout ça, mais je me donne meilleure conscience en me disant que dans les Systèmes Terminus, c’est le passage forcé à quiconque désire en sortir.
Je n’ai jamais dit à Mère à quoi s’étendaient mes activités. J’avais d’une part, fait le serment de ne jamais révéler être une Soeur de la Nuit ni ce que j’y faisais, mais surtout, j’avais trop honte… Je lui disais juste travailler dans la Sécurité Informatique, et lorsqu’elle posait des questions parce que mon salaire nous a permis de déménager, je l’endormais avec des termes et procédures techniques auxquels elle n’entendait rien. De toute façon, elle ne m’avait pas non plus dit en détails ce que son employeur - prétendu être un tenancier de bar - lui faisait faire avant que mes moyens lui permettent de rembourser les dettes de Père, et de changer de travail pour finalement s’occuper de jeunes Asari des quartiers défavorisés. Je crois que l’on se protégeait l’une l’autre en conservant nos secrets. C’était sûrement mieux ainsi.
Au fil du temps, et de l’expérience que j'engrangeais, les Soeurs m’ont donné plus de responsabilités, et ont commencé à me faire aller sur le terrain à leurs côtés. J’avais la charge d’assurer l’intraçabilité des transactions bancaires des clients que nous livrions et qui réglaient numériquement. Il n’était pas rare, qu’elles me demandent également de placer un rootkit sur le système d’exploitation du client si celui-ci souhaitait faire la transaction depuis son ordinateur. De la sorte, nous pouvions accéder à ses données, et s’il passait chez un concurrent, les Soeurs de la Nuit me demandaient de lui subtiliser des crédits en procédant à des virements depuis sa propre machine. À défaut, elles pouvaient faire pression sur l’individu en le menaçant de révéler certaines informations sensibles contenues dans son ordinateur. Elles trouvaient toujours un moyen de littéralement faire payer les clients infidèles… Je crois d’ailleurs que rares étaient ceux qui s’en sortaient vivants au bout du compte.
En 2046, je quittai pour la toute première fois l’étouffante atmosphère de Chalkhos. Moi qui avais rêvé durant les cent quarante cinq années précédentes, d’être à bord de l’un des vaisseaux décollant du spatioport, j’y étais. Je m’envolais. Tout en sachant que j’y remettrai les pieds ensuite, mais c’était au moins un début. Je n’eus jamais trouvé ma planète aussi belle que ce jour là. Vue d’en haut, elle semblait paradisiaque. L’inverse de ce qu’elle était réellement… C’est sur sa voisine Selvos, que la navette de mes Soeurs m’emmena. Nous y avions une livraison à y faire, et ayant fait mes preuves au sein du clan, on m’avait laissée accéder à des missions plus intéressantes. C’est comme ça que j’ai commencé à explorer la galaxie. J’aurais préféré la découvrir autrement, mais au moins je voyais autre chose, et cela me donnait comme un sentiment de liberté et de grandeur, même si quelque part, je me sentais encore plus minuscule.
Après Selvos, ce fut plus tard aux planètes des systèmes habités voisins, et puis jusqu’à Oméga, la plaque tournante de tous les trafics. Elle était encore sous le contrôle d’Aria T’Loak jusqu’à il y a quelques années, et les relations avec les Soeurs de la Nuit y étaient très bonnes. Grâce au réseau de contacts du clan, j’eus les noms de plusieurs passeurs susceptibles de m’emmener Mère et moi à l’autre bout de la galaxie: sur Thessia. Nous n’avions pas les droits pour nous y rendre et y rester légalement. L’idée était de trouver quelqu’un qui nous fournirait des papiers et nous y conduirait. Mais si j’avais conscience qu’une telle chose devait coûter les yeux de la tête, le prix véritable dépassait largement celui que j’avais imaginé. Avec les crédits rassemblés depuis que je travaillais, je ne pouvais payer qu’une seule place, et surtout je n’avais pas suffisamment pour assurer à Mère une vie décente une fois là bas. Il devenait plus que nécessaire de l’y faire s’y rendre. Je la sentais épuisée de cette vie, de cette planète. Elle s’enfonçait un peu plus chaque année. Je crois que la perte de Père la faisait mourir peu à peu, quand bien même elle le niait. La plupart des Asari apprennent à se détacher affectivement de leur(s) partenaire(s) parce qu’ils n’ont pas la même longévité, mais il en subsiste qui n’y parviennent pas…
Je me donnai encore un peu de temps pour parvenir à faire ce à quoi j’avais toujours œuvré: la faire revenir chez les siens, afin qu’elle puisse y passer une fin de vie plus heureuse. Je me démenai, toujours un peu plus, quitte à faire des choses dont je ne me serais jamais crue capable. Au final, pour l’argent, j’ai jusqu’à tué.. Je suis une pirate. Je suis une meurtrière. Je suis devenue ce qui plus jeune, me révulsait. Ce qui m’a fait vouloir quitter mon monde. J’ai même appris que si mon père s’était fait abattre, c’était à cause d’une histoire de drogue… Celle là même que fabriquaient les Soeurs de la Nuit. Ce qui m’est le plus difficile à accepter, c’est que je suis bonne dans ce que je fais… Comme si cela m’avait été prédestiné.
Je me pose encore des questions aujourd’hui, sur ce que je suis. Qui je suis. Je refais ma vie avec des “Et si ?” Mais sûrement là encore, mes questions resteront sans réponses.
Je parvins finalement à rassembler suffisamment de crédits, ou presque, et pus payer le transfert de Mère sur Thessia. Elle a difficilement accepté, car elle voulait que l’on s’y rende ensemble, mais je lui ai promis de la rejoindre dès que je le pourrai. J’ai tout de même bataillé pour qu’elle accepte, mais elle a fini par rendre les armes, et consentir à y déménager. De mon côté, j’avais dû faire un emprunt pour lui assurer un toit convenable une fois là bas, et fut ainsi contrainte à continuer mes activités pour rembourser ma dette. Et puis, j’allais également devoir rassembler des fonds pour moi même m’y rendre ensuite. Si je pouvais disposer d’informations bancaires de nos clients, ayant toujours crains les représailles des Soeurs vu ce qu’elles faisaient aux traîtres, je n’ai jamais osé prendre le risque de me servir. Ma vie de criminelle n’était donc pas encore terminée…
Au cours des années qui suivirent, je sentis l’organisation des Soeurs de la Nuit battre de l’aile. La concurrence dans les Systèmes Terminus se fit de plus en plus importante, et même si le marché de l’illégalité se portait bien, la paye elle, fut affectée. Notre Grande Matriarche fut défiée et vaincue en 2172 par une organisation ennemie. Les Soeurs eurent le choix de lui prêter allégeance, ou de mourir… Ainsi fonctionnent les cartels. Beaucoup des miennes furent abattues. D’autres choisirent la facilité. Et les comme moi profitèrent du bordel pour filer en douce... Mes compétences me permirent d’avoir l’avantage non négligeable de supprimer des systèmes toute trace de mon implication dans le clan des Soeurs de la Nuit. Même si je ne dormais pas l’esprit totalement tranquille, le mien l’était plus que celui des celles s’étant éclipsées et pouvant être traquées.
Je me suis réfugiée comme j’ai pu sur Oméga, au moyen d’un voyage clandestin dans les soutes peu conviviales d’un vaisseau cargo. Une fois là bas, j’ai dû me démerder pour vivre. Avec les crédits que j’avais toujours en poche, j’ai cherché à monter ma petite boîte, et suis devenue auto-entrepreneuse. J’ai commencé avec ce que je savais faire de mieux, tout ce qui était lié à la sécurité ou au piratage de systèmes pour obtenir des renseignements, ou en rendre d’autres inaccessibles. Mais se lancer là dedans, quand l’immense Réseau du Courtier de l’Ombre permet d’obtenir à peu près toutes les informations que l’on peut chercher, ne fut pas très fructueux même si j’eus quelques vagues contrats d’audit de sécurité. Alors, j’ai fini par me lancer dans l’une des choses que m’avaient apprises les Soeurs de la Nuit. Le transport discret de marchandises… Mon but était toujours de rejoindre Thessia, mais je me suis dit qu’il allait tout de même me falloir un travail une fois cela fait. Donc le transport pouvait être intéressant, et m'amener à naviguer un peu partout, moi qui rêvais toujours de découvrir de nouveaux horizons. Pour se faire, et après avoir longuement négocié les modalités avec mon créancier, j’ai fini par obtenir un nouvel emprunt, et m’acheter mon premier vaisseau pour mon entreprise nommée Sialys Flights. Un nom passe partout, qui se référait à un volatile de Chalkhos : bleu, petit, discret mais rapide. Un peu comme moi… Mon vaisseau ? Un maigre tas de ferraille d’occasion faisant office de navette. Une vraie poubelle volante. Mais suffisamment rapide, et surtout pouvant utiliser les relais cosmodésiques. Il ferait bien l’affaire pour commencer.
Mes débuts furent un peu chaotiques, mais les clients commencèrent à arriver, et je fis mes premières livraisons dans les systèmes proches. Je pus ensuite rejoindre Mère sur Thessia, sans pouvoir néanmoins m’y établir, les droits de séjour et de logements étant exorbitants. Ce fut comme elle me l’avait tant de fois décrit. Une planète prestigieuse. Une architecture de toute beauté. La grande Capitale de notre race. Une vraie merveille que j’aurais par la suite toujours plaisir à venir contempler. Mais le repos ne serait que de courte durée. Il me fallait rembourser mes lourdes dettes, et je ne pouvais passer mon temps à ne faire que du tourisme. Je repris rapidement mes activités, toujours plus ou moins louches, les individus souhaitant des transports discrets n’ayant que rarement des choses convenables à faire livrer… Le bouche à oreilles fonctionna plutôt bien, mes prestations satisfaisant entièrement mes clients.
Je me remis assez vite à mes centres d'intérêts premiers. Celui du piratage, et mon entraînement biotique. Même si les relais cosmodésiques permettent de traverser la galaxie bien plus rapidement que par les méthodes ancestrales, il n’en reste pas moins que les voyages demandent du temps, et qu’il me fallait tuer celui-ci… Durant mes longs trajets, je m’essayai donc à la Stase, et si trop frustrée par mon manque de maîtrise, je vaquais à mon ordinateur, traînant sur l’Extranet, mais aussi et d’autant plus anonymement, sur le Darknet. C’est là bas, que j’y ai découvert certaines offres assez alléchantes, qui me permettraient d’arrondir les fins de mois. Parmi elles, de nouveaux clients pour ma boîte de transport, mais aussi et surtout d’autres craignant vraisemblablement de passer par le Réseau pour obtenir certaines informations, et être ainsi fichés chez le Courtier. Je n’ai pas vraiment cherché plus loin le pourquoi du comment ils préféraient passer par autrui, mais ils avaient sûrement leur raison, et ça m’était très profitable. Depuis la petite cabine de mon vaisseau ou lorsque j’étais à quai, je répondais à la demande du marché, piratant ce que je pouvais d’où je le pouvais, accédant aux renseignements recherchés ou faisant tomber certains sites de l’Extranet.
Mes activités ont été vraisemblablement remarquées et mes compétences appréciées, considérant ce qui a suivi.
En 2180, je rencontrai physiquement un client du Darknet, qui ne voulait procéder à la transaction que face à face. Je pris beaucoup de précautions, ce genre de rencontre m’ayant paru très suspect. J’avais craint un piège, de quelqu’un voulant peut être ma peau pour lui avoir plus ou moins indirectement nui, ou d’une cellule gouvernementale concilienne de la lutte contre le cybercrime. Mais il n’en fut rien, bien au contraire. Il s’agissait d’un recruteur du Courtier de l’Ombre. Notre première conversation fut brève. Il m’indiqua ce pour quoi il était là, ce pour quoi je l'intéressais, les conditions sous lesquelles le Courtier de l’Ombre emploie, et ce fut tout, rajoutant simplement qu’il prendrait nouvellement attache avec moi en temps voulu, sans me préciser comment ni où. Je fus laissée à ma réflexion durant un mois, finissant même par conclure que mon profil ne remplissait finalement plus les critères. Mais j’eus tord, car le mois suivant, le Galarien réapparut, comme sorti de nulle part.
C’est ainsi que j’ai rejoint l’immense Réseau du Courtier de l’Ombre, et plus précisément, celui de ses mystérieux agents de renseignement opérationnels.
Pourquoi, me demanderez-vous ? Sûrement pour de multiples raisons… La curiosité. L’argent. Les moyens techniques. Et puis, peut être, le prestige… C’est certes une organisation considérée comme illégale même si très employée par les divers gouvernements, mais en faire partie, en tant qu’agent de renseignement, j’ai toujours trouvé ça prestigieux, car le Courtier ne tire pas seulement ses informations des aviseurs du dimanche, ni de ses mercenaires sur-armés. Il possède des espions professionnels. Ses “Agents de l’Ombre”. Moi qui venait d’un trou paumé du Système Mil, qui ne savait pas faire grand chose d’autres que des trucs d’espionnage ou de choses demandant une certaine discrétion, et qui ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les Chasseresses et Commando Asari dans les récits de Mère, j’eus l’impression de faire partie de quelque chose de grand. D’être quelque part, comme une élite, à mon petit niveau. Je crois aussi que la neutralité du Courtier et son penchant à ne jamais donner d’informations susceptibles de déclencher des guerres, ont aussi beaucoup joué dans la balance.
La plupart des échanges que j’eus avec l’Organisation se passèrent online. Les autres, s’il ne pouvaient en être autrement, furent à travers le galarien qui m’avait recrutée, et qui deviendrait mon agent de liaison. Je ne connais à ce jour, toujours pas son identité. Seulement son nom de code : Orion. Le mien resterait celui du Darknet, parce que finalement très approprié à mon métier d’espionne : Spyder.
Mes premières missions ne furent pas d’un niveau de difficulté exceptionnel. Je n’eus pas même à me déplacer de ma carcasse volante qui me servait de maison. Mais au fil du temps, de la fiabilité et de l’efficacité dont je leur prouvais être, on m’affecta à des contrats plus sensibles, et on commença à m’envoyer chercher les informations directement à leurs sources parce que nécessitant du social engineering, ou d’être directement sur place parce qu'impossible de pénétrer les systèmes depuis l’extérieur pour raison d’une sécurité trop avancée, ou de l’emploi d’un réseau virtuel privé.
Je menais une double vie, et je la mène toujours. Je suis agent du renseignement pour le Courtier de l’Ombre, et parallèlement, je fais du transport d’individus ou de petites marchandises, ce qui m’est très utile comme couverture lorsque je dois me rendre à un lieu précis pour le Courtier. Orion étant très protecteur de la sécurité et de la vie “officielle” des agents qu’il recrute, il adapte généralement mes affectations aux trajets que je dois faire. Ainsi, les choses me sont plus facilement conciliables, et j’ai toujours une justification quant à ma présence sur tel ou tel lieu le jour d’une potentielle brèche de sécurité quelque part…
À partir du moment où j’intégrai cette organisation à l’influence colossale, et pour me récompenser de mes loyaux services, on me fournit ce dont j’avais toujours manqué. J’obtins des papiers en règles pour Thessia où je retourne à présent assez souvent voir Mère, et on me fit don du matériel indispensable à l’accomplissement de mes tâches, dont notamment mon équipement d’opérateur qui comporte ce fameux camouflage optique qui m’est très utile sur le terrain… Les choses roulaient bien pour moi. Je remboursai au fur et à mesure mes dettes, et je trouvai enfin un certain équilibre à ma vie, rendant Mère plus heureuse sur Thessia, et moi même en vivant mes propres expériences au travers de nombre de mes voyages. Tout n’était pas toujours évident, et le stress de me faire prendre se trouvait toujours là, mais je me plaisais et me plais encore dans ce que je fais. De toute façon, je ne sais pas faire grand chose d’autre, et je suis aujourd’hui “trop veille” pour poursuivre des études ou intégrer une Académie Militaire sur Thessia.
Il y eut une période où mon activité d’agent de l’ombre fut toutefois largement ralentie. La Grande Guerre fit retentir ses cors, et avec elle, toute la galaxie en fut secouée. Le Réseau ne fit pas exception.
Je n’eus plus aucune nouvelle d’Orion pendant une longue période. Tout semblé gelé. Plus d’ordre, plus de mission. Je continuai au tout début mes activités de transport, mais même là, les clients habituels devenaient frileux. Je pus néanmoins trouver preneur, auprès de colonies angoissées, où les gens commençant à s’agiter cherchèrent à rejoindre au plus vite les grandes planètes bien plus protégées par les flottes Conciliennes. Et puis, le chaos le plus total arriva. Les premiers mondes tombèrent. Chalkhos fut des leurs. Encore aujourd’hui, c’est un sentiment étrange qui me saisit lorsque j’y repense. Je m’y suis rendue avant qu'elle ne soit reconstruite. Il n’y avait plus rien. Ce n'était plus qu’un caillou sans vie, ayant perdu toute la beauté que j’avais pu lui trouver jadis depuis l’espace. Sa jumelle Selvos n’avait pas non plus échappé au sort funeste des Moissonneurs, comme de nombreuses autres planètes. Si aujourd'hui, la plupart des infrastructures ont été rebâties, on peut par endroits encore trouver quelques séquelles de cette sanglante période.
Au fil des jours, les messages de détresse se faisaient plus nombreux sur les ondes radio que je parvenais à encore capter depuis l’espace. Beaucoup parlait de monstres faisant prisonniers des colons. D’autres racontaient des choses bien plus horribles encore, que je ne me sens pas d’évoquer. Devant tant d’horreur, et ayant vu de mes propres yeux ce qui était fait à certaines colonies, je mis le cap vers Thessia, qui était pour moi de loin, la planète la plus sûre de la Voie Lactée. Je voulais être en sécurité auprès de Mère, dont je n’eus plus de nouvelles car les réseaux de communication furent bien vite saturés. Seulement je me trouvais encore dans les Systèmes Terminus, et rejoindre la Nébuleuse d’Athéna allait demander un certain temps, beaucoup de carburant, ainsi que l’emprunt de plusieurs relais. Les Moissonneurs commençaient à envahir la galaxie, et s’aventurer dans l’espace devint bien plus vite dangereux qu’en temps normal, même si rester à terre ou dans une station le fut tout autant.
Après nombre de péripéties malheureuses, je parvins à rejoindre le relais de la Nébuleuse d’Athéna, pour y découvrir une Thessia plongée dans les Ténèbres. Jamais je n’aurais cru possible que notre Capitale puisse être ainsi attaquée. J’ai volé comme j’ai pu jusqu’au district où habitait Mère, mon vaisseau ayant été salement touché à mon arrivée. J’y suis finalement parvenue, plus ou moins en me crashant. Mère n’était pas là, et je n’avais aucun moyen de la contacter. Je me suis rapidement retrouvée embarquée dans les combats au sol, chacune faisant son possible pour repousser l’envahisseur. Beaucoup de civiles avaient pris les armes, ou se servaient de leur biotique pour venir en renfort aux chasseresses et probatrices. Je fis de même, en essayant parallèlement de retrouver Mère dans le chaos ambiant. Il y avait cannibales, zombis et maraudeurs à tous les coins de rues. Et puis… J’y ai vu des Asari converties par les Moissonneurs. Des machines à tuer, aussi effrayantes que puissantes. Elles reviennent souvent dans mes cauchemars, et leur cri perçant à vous glacer le sang résonne dans mon esprit à ces lignes.
Ne parvenant toujours pas à la retrouver après plusieurs jours de recherches, j’ai cru que Mère était devenue l’une de ces Furies. Cette pensée m’était tellement horrible que ne sachant plus où chercher, et ne voulant pas me laisser envahir par la peur de l’avoir perdue, je fis tout mon possible pour garder mon esprit concentré sur autre chose, aidant la résistance comme je le pouvais. Peut-être écrirai-je plus tard un récit bien plus étoffé sur cette sombre période et ce que j’y ai vu, mais encore à ce jour, en témoigner ne m’est pas une chose aisée.
J’ai finalement retrouvé Mère lorsque les Moissonneurs ont été détruits. Il fallut plusieurs semaines pour que plus aucune fumée noire n’assombrisse le ciel de la planète. Nous comptions beaucoup de morts, mais Thessia ne fut pas la plus à plaindre. Mère avait été évacuée, et transportée dans un centre médical, ayant été sévèrement touchée. Je la veillai aussi longtemps que mes maigres forces me le permirent, avant de me laisser aller à un sommeil que j’aurais souhaité réparateur. Il n’est plus le même depuis la Grande Guerre. Et même si meilleur aujourd’hui, il n’est jamais parfait.
Mère reprit connaissance deux semaines plus tard. Les médecins m’avaient dit qu’elle n’aurait aucune séquelle physique grâce à leur intervention. Biologiquement, tout indiquait qu’elle allait bien. Mais à son réveil, elle n’était plus la même. Elle ne parlait plus, ne semblait pas me reconnaître. Elle avait un regard vide, comme éteint. Les spécialistes m’ont dit que c’était dû au choc post traumatique, et que seul le temps pourrait y faire quelque chose. Je restai à ses côtés l’année qui suivit, essayant de stimuler ses bons souvenirs en lui partageant les miens. Mais rien n’y fit. Mère n’était plus qu’une enveloppe physique. Son énergie spirituelle semblait avoir rejoint la Conscience Universelle, telle que nous l’enseigne notre religion.
La reconstruction de Thessia se mit en marche, et elle retrouva sa splendeur plus vite que les autres mondes. La vie reprit partout son cours, parfois plus difficilement pour les uns que pour les autres. J’eus à faire transférer Mère dans un établissement spécialisé, dont les frais m’obligèrent rapidement à reprendre du service. Ma carcasse de vaisseau n’étant pas récupérable, je vendis les pièces qui pouvaient l’être pour m’en acheter un nouveau à crédit, et reprit de l’activité sur le Darknet, n’ayant toujours aucune instruction du Courtier.
On me réactiva finalement dans les années qui suivirent, et si j’ai trouvé que le Réseau avait eu quelques périodes troubles, les choses sont reparties. Orion est toujours mon agent de liaison. J’étais heureuse de le savoir en vie et réciproquement. Sialys Flights est toujours là, et me sert encore de couverture. Ma vie est techniquement similaire à celle que j’avais avant la Grande Guerre. Mais moi, je me sens changée à jamais.
Je me nomme Kalia T’Surek, et ces lignes sont mes mémoires. Je doute que quiconque s’y intéresse un jour, mais j’avais besoin de laisser une trace de mon existence.