"C'est ainsi que je débutai ma quête: Seule. Le Feu de la Haine consumant mon âme, chaque jour un peu plus, s'efforçait de rouvrir et d'aggraver les meurtrissures de mon passé. Son crépitement avide sonnait avec une agréable violence que je ne cessai d'entendre, tel le lointain écho d'un refrain oublié, que seul lui et moi connaissait. Elle était envahissante, insatiable, malsaine et grisante. Je fermai les yeux, détendais les doigts pour la ressentir encore. Elle brûlait dans mon sang, irriguant mes membres de sa rage dévoratrice. J'aimais qu'elle me consume ; cette Haine sans nom. Doux martyre; lente noyade dans la noirceur de ce monde. J'arrêtai ma marche. Il y avait aussi ces hurlements. Ceux de mon humanité. Des cris de Souffrance, de perdition; de Rage.
Alors je continuai à marcher, avec plus d'ardeur encore. Chacun de mes pas me rapprochai de lui. Chaque bouffée de cet air pourri que je respirai en plus me rapprochai d'eux tous. Je laissai la morsure de ce froid glacial engourdir mes membres.
Je marchais, encore et encore. Le sifflement du vent m'était devenu amical.
Je portai mon Âme et mon Feu. Il n'y avait rien d'autre en moi.
Alors c'est ainsi que, Seule, je débutai la Quête de ma Personne."

A cet instant, je compris que j’étais en train de mourir. Ça y est, enfin, je mourais. Je me tuais à la bataille. Et puis je ne contrôlais plus rien. Le cataclysme intérieur était là, juste sous le vertige que je faisais taire. J’allais me perdre. L’absolu allait brûler les limites de mon être. Tous mes organes pulsaient d’une soif de destruction massive. Je n’étais que ça. Et il n’était que ça ; choses à détruire. Dans mes yeux, certainement, il y avait cet absolu qui n’était plus un feu, plus un gouffre, mais un pouvoir, une énergie originelle. J’avais mal, certainement, je n’avais plus de souffle, je n’avais plus de sang, plus de larmes à verser, j’étais allée au-delà. Ne tenait sur mes jambes qu’une bête sortie du fond des âges qui portait mon nom. Il m’arrivait de grogner, de haïr à la mort, l’air déchaîné et furieux, de cette fureur qui naît avec une blessure à vif. Il n’y avait plus de vie et de mort là où j’étais. « Mes bras ne se lèvent plus, que pour serrer l’Enfer. » Je surpassais, chaque état, chaque condition avec plus de rage, plus de fureur encore. Le catharsis de centaines de vies se faisait là. La purgation de mon âme et mon Apocalypse personnel se déroulaient simultanément. Je combattais Nicolas pendant que je me combattais moi. Je ne reviendrais jamais. Je devais mourir, anéantir tout ce que j’étais pour renaître autrement. Mais la puissance avec laquelle je me détruisais était quelque chose qui agressait violemment l’entendement. Je chargeais, l’assaillais, le percutais sans me soucier des coups que je lui portais et sans me soucier des dommages que je m’infligeais. La Haine, la Colère, la frustration, la Rage, la fureur, la tristesse, la souffrance, le malheur, la puissance, la force ; tout est sorti. Absolument tout. En moi, il ne restait plus rien. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis tombée et où je me suis relevée. Je ne compte plus le nombre de fois om j’ai eu peur, où j’ai eu mal, où j’ai grogné, où ma vision s’est floutée, où j’ai défailli. Mais je ne veux pas qu’il reste des pièces de moi, je veux qu’il ne reste rien. De ma conscience à mes certitudes, je veux qu’il ne reste rien. Que l’on meure ensemble. Nicolas.

Charge.
Le garde percuta l'acier froid du mur. Son sang violemment expulsé d'un corps désarticulé vint tâcher mon visage de quelques chaudes gouttes. Mon sniper sur le dos avait un poids rassurant. C'était le poids de ma chair que je ne supportais plus. Et cette biotique, partie intégrante et presque organique de moi. J'étais seule sur cette mission. Nettoyant une base clandestine. On s'occupait du sale boulot. Des corsaires au service de l'Alliance. Me changer les idées après la bataille de la Citadelle et cette première appréhension de la guerre. Un an que j'ai quitté Grissom. J'ai l'impression que c'était une autre vie. J'ai toute ma vie à faire, et pourtant ce n'est pas l'impression que je devrais avoir. J'ai l'impression de peser plus lourd qu'un cheval de trait. Plus lourd qu'un char d'assaut. Ecrasée sous le poids de mon histoire.
Des pas, des ordres hélés dans l'obscurité de la nuit.
Singularité. Fusée.
Leurs membres sont déchiquetés. Mon pistolet à la main, j'en achève un qui bougeait encore. Je shoote du pied dans la tête d'un autre. Putain de merde. Mes deux premiers quintaux heurtent violemment l'acier froid du conteneur qui leur servait de couverture. Mes quintaux sont désensibilisés, les nerfs sont écrasés, je ne sens rien. L'animal en moi mord les barreaux de sa cage. L'humain ne trouve rien qui ne satisfasse Id. Des pas qui accourent. Encore d'autres. Leurs camarades sont autour de moi, disloqués. J'apparais comme une figure furieuse et absurde. Je les défais un par un. Ma soif de saccage grandit alors que mes actes meurtriers se perpétuent. Arrivé au dernier, je ne sais ce qui se passe. "Un craquement d'abord dans ma tête. Puis c'était comme si un trou s'était ouvert au sommet de mon crâne, j'étais aspirée au dehors. Une fatigue primale remontait de ma naissance. Je me retrouvais sans mémoire à traîner derrière, sans histoire. J'étais suspendue, entre terre et ciel : mise au monde une seconde fois." (Blast, Manu Larcenet.)

C'est l'humain arrivé au bout de lui-même qui s'animalise. Laissez-moi reprendre cette lutte du début des temps que j'ai perdu et qui m'a valu cette damnation. Je reviens peu à peu à ma condition originelle, après tant d'efforts, de défigurations.
Je te veux. Tu es mon ultime. Le Divin et le Bestial. Id. Sous tous les angles, tu me parais magnifique; fascinant, divin et bestial. J'étais délivrée de SurEgo et de son fardeau inutile. Il n'est de but dans cette vie, que notre fusion. Tu es la seule chose à l'origine de la création de la Bête. Tu es son plus intime refuge.
J'ai cru que le BLAST faisait vivre mieux; il n'en est rien, il fait juste mourir plus vite. Il faut que je m'en souvienne. Je crois savoir ce qu'est le BLAST. Mais je ne veux pas y croire. Cela remettrait en cause tout ce dont se nourrit mon être.

Je perdais mon équilibre. Mes pas étaient chancelants, mon esprit déboussolé. Je perdais mes repères. Le ciel sans cesse assombri ne semblait offrir aucune perspective à l'humanité. La terre que je foulais à chacun de mes pas arrachés au néant était noire et humide. je butais sur des cailloux, des racines extérieures. Je fuyais, sans me souvenir de quoi. Comme toutes les guerres, elle finissait par apparaître dénuée de sens à ceux qui la vivaient suffisamment longtemps. La tête la première. C'est comme ça qu'il disait Polza. J'ai tout perdu dans cette foutue galaxie. Mon regard s'est vidé et mon souffle est devenu fou. Tout cela était tellement plus beau du temps où je m'occupais à vous rendre glorieux. Mes yeux se referment. J'aimerais pleurer. J'aimerai exorciser, catharsiser tout ce que je suis et été. Expier mon être dans un ultime accès d'incompréhension. Je m'effondre sur le sol, éclaboussée par la rosée du soir. Les attaques des Moissonneurs déchirent la nuit.
Pourvu que les bouddhistes se trompent, que je ne revienne pas.