Si vous lisez ces lignes, c’est que vous êtes parvenus à trouver mes mémoires et à contourner les sécurités que j’avais mises en place. C’est aussi probablement parce que je ne suis plus. Mais par ce datapad, je continuerai d’une certaine manière d’exister. Au moins pour vous, le temps de cette lecture.
Jynn Buckner, Erin Madden, Emma O’Connell, Robyn Tanner, Sarah Walsh, Callie McDonnell, Karen Gallagher… La liste est longue, et peut-être que l’un de ces noms vous est familier. Il s’agit de légendes. De fausses identités que l’Alliance a créée de toute pièce pour me permettre d’effectuer mon travail tout en assurant ses arrières, mes arrières et les arrières de mes proches. Je dois avouer qu’il m’arrive parfois de ne plus savoir qui je suis vraiment, et peut-être que mettre à plat mon histoire dans ce terminal me permettra de pouvoir me le rappeler si un jour je pars en vrille…
Je m’appelle Kathleen Callaghan. Kate, pour les intimes. Vous n’aurez qu’à m’appeler intérieurement de la sorte, puisque de toute façon nous allons être intimes dans la mesure où je suis entrain de vous livrer ma vie… Je suis née le 8 Janvier 2164, au Beldford Hospital de la ville de Fort William. Cela ne vous dit probablement pas grand chose, mais si vous connaissez la Terre, ça se situe dans les Highlands, en Ecosse. En clair, un bled plutôt paumé. Mais il est de coutume dans la famille de donner naissance dans la ville de nos ancêtres, et ma mère n’y a pas coupé. Soit disant que cela apporte chance et longévité…
Je ne crois pas que ma mère se soit dit ça lorsqu’on l’a informée des cellules cancéreuses que j’ai développée lors de ma première année d’existence. Toutefois je dois admettre que j’ai eu la chance de m’en sortir, contrairement à d’autres nouveaux-nés pour lesquels les effets secondaires d’une exposition in utero à la poussière d’’élément zéro peuvent être fatals. En ce qui concerne mon cas, les cellules en question n’ont finalement pas donné naissance à une tumeur cérébrale, mais à des nodules d’ezo qui se sont formés un peu partout dans mon corps. Une vrai luciole à l’IRM... C’est comme ça que je suis devenue biotique. À cause d’une foutue organisation terroriste ayant cherché à détourner un vaisseau de transport d’ezo d’Altai Mineral Works, dans lequel ma mère se trouvait ce jour là… L'événement n’est jamais vraiment sorti du système Pamyat, l’entreprise ayant tout fait pour le passer sous silence au vu des failles de sécurité mises en évidence par l’enquête interne. Les médias n’en n’ont jamais rien su, quant à l’Alliance, vous comprendrez plus tard qu’elle avait suivi la chose.
La suite ? Et bien… Après qu’on eut essayé d’acheter son silence, ma mère a mis un terme à son contrat avec Altai. Je suppose que c’est aussi parce qu’elle a dès lors pleinement pris conscience de la réalité de sa condition de femme enceinte. Mon père qui travaillait pour la même entreprise l’a suivi, et ils sont revenus sur Terre comme lors de la l’arrivée de mon frère aîné. Je ne suis donc pas stellaire, mais un pur produit des Highlands, et si je rêvais petite de m’envoler de ces terres sauvages, j’ai compris plus tard la chance que j’avais eue de connaître d’aussi beaux paysages...
Durant l'année de mes douze ans, mes parents en difficulté financière ont été contactés par l’Alliance, venue leur expliquer les conséquences d’une biotique non maîtrisée pour ensuite leur faire une offre. Celle de me prendre en charge intégralement. Un discours bien rodé et persuasif, sonnant comme désintéressé puisque mettant en avant la bonne intégration des biotiques dans la société. Comme mes capacités avaient commencé à se manifester et à faire peur à mon entourage, ils ont accepté l’offre. Mon rêve idiot de petite fille s’est alors réalisé… Je suis partie pour l’espace, direction cette fameuse station en orbite d’Elysium où on me colla un implant L4 dans le crâne.
La coupure familiale fut très brutale, et j’eus beaucoup de difficultés à m’habituer à ce nouvel environnement durant les premières années, même s’il y avait quelque chose de rassurant à être entourée d’élèves ayant le même “problème” que moi. Sérieuse, je l’étais. Je croyais même que cela me permettrait de revenir auprès des miens au plus tôt, pensant enfant que l’on m’avait envoyée loin d’eux pour me punir. Mais c’est l’effet inverse qui se produisit. Devant mes capacités et mon obéissance, l’Alliance eut confirmation que je leur serai une recrue au fort potentiel. Sans le comprendre à cette époque, mon avenir venait d’être tout tracé...
J’ai donc passé mon adolescence à Grissom, voyant les miens qu’aux occasions des vacances. Placée dans une promotion axée militaire, je fus imprégnée de la culture de l’Alliance, et moulée selon les souhaits de celle-ci. À ma majorité, devant le sentiment de reconnaissance envers l’Alliance que l’on m’avait inculqué et la peur également de ne jamais parvenir à trouver meilleure place pour moi ailleurs, j’ai consenti à suivre les classes préparatoires militaires d’enseignement supérieur de Grissom pour pouvoir ensuite passer le concours d’officier de l’Armée de Terre.
Je fus reçue et mon classement m’octroya une place à la prestigieuse école d’officiers d’Arcturus en 2184. Je devenais finalement bien plus stellaire que terrienne… et partis donc d’une station pour me retrouver sur une autre.
Rigueur et travail furent d’autant plus nécessaires là bas. J’eus à redoubler d’efforts, pour non seulement suivre les matières du tronc commun, mais en plus parfaire parallèlement mes compétences biotiques dans le cadre de ma spécialisation de porte-étendard. Un stage facultatif de perfectionnement en partenariat avec l’Académie de Grissom était organisé chaque année. L’objectif secondaire pour l’Armée était le recrutement des cadets de l’Académie en envoyant ses élèves officiers comme ambassadeurs pour l’Alliance. J’y participais, pour toujours plus améliorer ma biotique et pour expliquer aux intéressés le déroulement de la formation d’officier. Il n’y a pas à dire, l’Alliance était parvenue à faire de moi ce qu’elle voulait…
Je me trouvais là bas, lorsque le Chaos arriva. Dès que la station eut vent des événements sur Terre, l’Académie fut évacuée. Quelques membres du personnel d’encadrement restèrent pour poursuivre leurs travaux sur des technologies expérimentales de l’Alliance. Un groupe de cadets du Projet Ascension présents sur place à ce moment là prit la décision d’également rester. Non pas parce qu’ils ne voulaient pas tenter de rejoindre les leurs comme tous les autres, mais parce qu’ils cherchaient à participer à l’effort de guerre, en poursuivant leur entraînement pour espérer ainsi être envoyés au combat et faire ce pour quoi on les avait entrainés... Quant à moi, j’avais reçu pour ordre avec les deux autres militaires présents pour le stage, de rester sur place pour veiller à ce qu’il n’arrive rien aux projets technologiques commandés par l’Alliance. Je n’ai jamais su en quoi ils consistaient, n’ayant pas eu les habilitations pour le savoir, mais ils étaient clairement très importants pour prendre le risque de ne pas évacuer la totalité des membres du personnel. J’en voulu toutefois à l’Alliance de devoir rester sur Grissom quand tous les autres partaient au front défendre la Terre.
Mais j’étais alors loin de me douter que le combat viendrait directement à nous...
Des forces de Cerberus ont débarqué en faisant passer leurs vaisseaux pour des appareils turiens. J’ai vu des gosses tomber sous les tirs. D’autres être traînés à terre pour être enlevés. Charger seule sur les forces ennemies pour essayer de les sauver aurait été suicidaire. Je ne pus que donner l’alerte et battre en retraite tout en me regroupant avec mes deux autres collègues et amis de longue date pour essayer de ralentir l’avancée ennemie le temps que le personnel et les élèves se mettent à l’abri. Mais devant la puissance ennemie, nous n’avons pas fait long feu, et l’un de nous est tombé. Nous avons été contraints de reculer et dans notre tentative de rejoindre le hall d’Orion pour le rassemblement général, nous fûmes séparés. Je me suis retrouvée seule, à devoir ruser pour contourner les couloirs occupés par Cerberus. Dans ma traversée, j’entendis les centurions donner leurs ordres et citer des noms d’élèves en les qualifiant de
“candidats de premier ordre pour l’endoctrinement et l’augmentation sous l’Initiative Fantôme”... J’en eus la chair de poule, et compris que le même groupe était à l’origine de l’attaque d’Altai Mineral Works de 2164.
Je fus alors surprise par l’ennemi, qui appela des renforts pour me serrer, et nous nous livrâmes à un épuisant jeu du chat et de la souris dans toute l’aile B de la station. C’est finalement un message du Docteur Sanders diffusé à travers toute l’Académie qui me sauva. Des renforts arrivaient, et en entendant ça, les troupes de Cerberus se réorganisèrent et abandonnèrent leur poursuite. Je me suis alors débrouillée pour progresser jusqu’au point de rendez-vous, non sans douloureusement devoir enjamber les corps sans vie de ceux avec qui j’avais passé ces dernières années... Je pus retrouver le reste groupe, et participer à la résistance organisée par une dénommée et impressionnante Jack qui nous fit démonstration de toute sa puissance jusqu’à voir enfin ces fameux renforts parvenir jusqu’à nous. Le Commandant Shepard en personne. Avec son aide, nous réussîmes à rejoindre une navette et quitter les lieux en fuyant à bord du célèbre SSV Normandy.
Nous aurions tous voulu accompagner cet officier de légende dans sa mission, mais fûmes déposés à bord d’un croiseur de l’Alliance, puis dispatchés selon les besoins. Bien qu’encore élève officier, mon profil de biotique offensif séduit et on m’affecta à une escouade pour porter assistance aux colons et aux survivants de la 8ème Flotte sur Ontarom. De toute façon, l’Alliance avait besoin de toute l’aide possible devant ses effectifs se réduisant jour après jour. J’aurais préféré pouvoir directement apporter mon soutien à la Terre, être loin d’elle et des miens me fut difficile, mais la mission à laquelle on me rattacha n’eut rien d’accessoire. Une fois sur Ontarom, l’idée était de reprendre et défendre le complexe principal de transmissions terrestres, essentiel à l’effort de guerre. Ontarom était effectivement un centre de communication crucial pour l’Alliance, et le laisser tomber aux mains de l’ennemi aurait considérablement perturbé la coordination des forces spatiales alliées dans la Voie Lactée. Je me retrouvai dès lors confrontée pour la première fois à la guerre, l’horreur de l’attaque de Cerberus n’ayant finalement pas eu grand chose en commun avec celle que mes yeux purent voir sur le terrain… Devant un tel chaos, et un ennemi aussi redoutable, j’eus parfois du mal à croire en un futur. L’atmosphère constamment orageuse de la planète n’était pas non plus propice à l’espoir lorsque je levais les yeux pour tenter d’apercevoir le système solaire. Mais nous ne devions pas céder.
“La reddition, c’est la mort.”, comme on nous l’avait enseigné. Alors on se battait. De nos expéditions aux divers centres de paraboles, nous revenions souvent moins nombreux que ce que nous avions été au départ. Il nous fallait tenir Ontarom, et espérer que notre lutte et nos morts ne seraient pas vains.
Les jours se ressemblaient, et nous avions tous l’impression de revivre le même en boucle, avec des hommes en moins et des blessures en plus… Jusqu’à ce qu’après des mois interminables, une immense vague lumineuse vienne s’abattre sur la planète, ravageant d’une traite ces ennemis que nous avions cru invincibles. Shepard l’avait fait. Nous avions vaincu. Que restait-il de la galaxie ? De la Terre ? Avec la perte des relais, les secours mirent des mois à parvenir jusqu’à nous. Livrés à nous mêmes, nous avons reconstruit Ontarom du mieux possible, et puis j’ai enfin pu quitter cette planète.
Le choc fut immense lorsque j’ai pu mesurer de mes propres yeux l’horreur causée par les Moissonneurs. Comme pour beaucoup d’autres, les nouvelles me furent terribles en rentrant sur Terre. De ma famille, il ne restait plus que mon frère Ewan, ayant survécu miraculeusement. Tout le nord de l’Angleterre avait été complètement ravagé. Les merveilleux paysages sauvages d’Ecosse ne ressemblaient plus à rien d’autre que des étendues noires. Des terres mortes. C’est encore le cas aujourd’hui. Ewan ne m’a jamais pardonné de ne pas avoir été là pour eux. Pour protéger notre famille. Il me reproche tout et n’importe quoi. Mais il est vrai que je n’étais pas là, et qu’à cause de ma condition de biotique, je ne l’ai finalement jamais été. J’ai aussi perdu un frère dans cette guerre…
Je suis dès lors retournée dans ma famille d’accueil, celle m’ayant toujours ouvert ses bras. Les effectifs dans les rangs de l’Alliance ayant considérablement diminué, on me fit terminer ma dernière année d’élève officier de manière exceptionnellement rapide, et j’obtiens le grade de Lieutenant. On m’affecta à droite à gauche suivant les besoins : encadrement et participation à missions classiques d’assistance et d’escortes sur un certain nombre de colonies. On m’envoya aussi par la suite sur des missions visant à inspecter, récupérer toute donnée éventuelle et détruire des sites précédemment occupés par Cerberus.
Après trois ans de service, je fus promue au rang de Premier Lieutenant. Devant mon goût élevé pour l’investigation durant les missions citées préalablement et mon parcours exemplaire en tant qu'officier et biotique, je fus recrutée par le SGR (Service Général du Renseignement de l’Alliance) dont le discours fit passer au second plan mes envies de CFCI…
Chargé du recueil de l'information, de son analyse et de la diffusion du renseignement, le SGR est une structure à part entière de l’Alliance, composée de multiples sous-directions et d’un bras armé au fonctionnement obscur : le SAS (Service des Actions Spéciales). C’est celui-ci que j’intégrai, et après des tests de sélection finale ainsi qu’une formation supplémentaire de plusieurs mois sur le Renseignement en général, mais aussi et tout particulièrement sur les techniques et technologies d’espionnage, de contre espionnage, de manipulation et de filature, je fus acceptée au Programme “Trojan”, et placée dans la division chargée de l’antiterrorisme. En clair, je devenais un officier de renseignement, une espionne chargée d’infiltrer des organisations et réseaux ciblés pour faire remonter tout truc pas net aux analystes, faisant eux, remonter toute information pertinente à la hiérarchie, qui, elle, décidait alors s'il fallait ou non envoyer des forces spéciales intervenir. Je fais toujours à ce jour partie des yeux et des oreilles de l'Alliance, et ce type de mission demandant généralement d'être "à poil" - comprenez désarmée... -, mes pouvoirs biotiques son mon arme surprise en cas de problème.
J’ai sûrement une vision très sombre des choses, mais je réponds en général qu’elle est réaliste. Je présume que mes traumatismes de la Grande Guerre y sont pour quelque chose, et que la déformation professionnelle dont je fais preuve depuis que je suis au Programme “Trojan” n’a rien arrangé. J’ai vu et côtoyé des individus sans la moindre humanité. Dépourvus de toute morale. Comme des endoctrinés... J’ai l’impression de me perdre parfois. Quand vous infiltrez ces milieux, que vous devez faire des choses à l’encontre de vos principes pour gagner leur confiance, vous y laissez un bout de vous même. Alors j’écris, pour me rappeler de qui je suis. Peut être que je joindrai plus tard à ce datapad ces moments qui m’ont maintenus lors de mes dernières missions sous couvertures. Ces derniers temps ont été difficiles avec toutes les attaques qu’il y a eues. Je ne sais pas vraiment ce que l’avenir réserve, mais sûrement que de nouveaux évènements sombres arriveront.
Les terroristes sont des hydres. Vous en éliminez un, et d’autres prennent sa place.
Machiavel ne fera pas exception...
Capitaine K. Callaghan, "Horus".
Matricule 6401-KC-2184