Seul et croisant les bras, Josh observait le paysage "moderne" que lui offrait la superbe vue de son appartement. Ce dernier se trouvait en plein centre de la mégalopole de Vancouver et s'était facturé à quelques millions de crédits. Rien que ça. Juste pour pouvoir vivre quelque part, certains diraient que c'est abusif. D'un autre côté, le PDG ne pouvait être tenu responsable de ce petit écart car il n'avait pas directement commis l'achat. Cela n'était pas l'erreur de la secrétaire... Mais plutôt de l'ancien propriétaire de son nom, qui fut légèrement excentrique pour son époque et qui avait voulu s'offrir ce qu'il y avait de mieux en plein cœur de la Terre. Ou plutôt de ce que l'Alliance vendait à la galaxie. Ce n'est pas parce que les humains étaient partis à la conquête de l'espace que cela se passait mieux chez eux. C'était... autre chose. Sauf que la pauvreté, les maladies et les guerres persistaient. Cette sombre capitale ne faisait que masquer quelques faiblesses et ces buildings ne signifiaient rien. Si on en retenait que la plupart avait été remplacé ou reconstruit juste après le passage des Moissonneurs, on pourrait même dire qu'ils étaient jeunes et creux. Et surtout tristes. Le chiffre des victimes avait grimpé et ce qu'on avait trouver de mieux, c'était de mettre plus de métal au-dessus de leur cadavre.

Vu ces pensées, on pouvait s'imaginer que l'homme d'affaires était assez misanthrope sur les bords. Et c'était vrai qu'il ne portait pas le gouvernement supranational en haute estime. Ce n'était pas un cas unique pour autant. L'ordre instauré par les politiciens du Conseil était factice. Et ces "barbares de Terminus" - comme on aime les décrire - n'avaient rien à jalouser. La seule différence, c'est que l'un accepte le chaos qui le compose. Tandis que l'autre se contente de jouer avec. Dans les deux cas, l'envie, la peur et la colère détruisent ce que des gens avisés tentent de bâtir. Leurs fondations sont alors soudainement viciées et tel un poison, il est incurable jusqu'à ce que quelqu'un d'assez fort puisse le combattre.

Ce genre de métaphore, on pouvait l'adapter au dénommé Manfred. La légende des banquiers, trop beau pour être vrai. Un comptable si parfait qu'il n'est pas seulement capable de cacher ou transformer de l'argent... Il est capable d'en créer. C'est un faiseur de rois. Et comme toute mythique identité, il suffit d'endosser le masque pour s'approprier le rôle. Or, bien trop souvent, un imposteur vient s'y glisser... Et là, c'était le cas. Josh avait connu le dit Manfred, en son temps. Ils n'avaient, bien entendu, qu'une entente cordiale. Mais les deux avaient des idées communes et l'une d'elle était que l'argent n'est pas synonyme de création de pouvoir. Ce n'est qu'un moyen, pour valoriser quelque chose qui - à l'heure actuelle - n'est plus valorisable. Et c'était pour cette raison qu'il était si bon dans ce qu'il faisait. En réalité, les crédits n'ont plus aucune importance véritable. Qu'il y ait des milliards en moins ou en plus n'y change rien, si on sait les répartir. Et ce qui compte, c'est de ne pas se laisser emporter par la cupidité. Et ça, l'actuel comptable ne l'avait pas compris. Les techniques sont les mêmes, les résultats sont tout aussi efficaces. Il n'y a que le but qui diffère. Il ne s'agit plus que de s'enrichir sans principes, pour accéder à une puissance sur laquelle l'on a aucun contrôle.

Et c'était ironique, compte tenu du fait qu'il n'y a pas si longtemps, le PDG était en train de financer la campagne de Thomas Dole, histoire de se mettre un haut-placé dans la poche. Ce n'est pas parce que les moyens nous répugnent qu'il ne faut pas les utiliser. Mais en ce qui concerne son actuel ennemi, il ne tiendra pas longtemps. Il ne faudrait qu'espérer que son successeur mette plus de sens dans ses actions. Ou bien qu'il n'y est aucun suivant serait aussi acceptable. Dans tous les cas, lorsque l'on reprend quelque chose, il faut au moins comprendre pourquoi cette chose a été créée. Et sinon, cela devient aussi ennuyeux et sans vie que le paysage de Vancouver, que le croate admirait du haut de ses presque deux mètres. Habillé d'un débardeur, il croisait les bras et soupirait. Bientôt, il en finirait.

Une demi-seconde, il ferma les yeux. Et lorsqu'il les rouvrit, il vit une femme dans le reflet de la fenêtre. Sa silhouette ondulait parfaitement avec le verre et on pouvait percevoir une chevelure couleur feu, accompagnés d'iris émeraudes et de joues blanches peu maquillées, ce qui la rendait très naturelle. Elle était vêtue d'une simple robe ocrée et lignée noire. « Ton argent est sur le bureau. » murmura l'ex-Général, juste suffisamment haut pour qu'elle l'entende. D'un pas nonchalant, l'invitée avança vers le dit meuble. Elle y trouva vite une enveloppe et tendit la main vers celle-ci... Avant d'hésiter. « Prends le et pars. » Clignant des yeux, elle ne se fit pas broncher et attrape la lettre. Elle fit un signe de tête, dit quelque chose que Josh ne souhaita pas percevoir et prit la direction de la porte.

L'homme, seul, se retourna et la regarda sans aller. On entendit un claquement sourd. Le maitre des lieux fit quelques pas en avant. Et dans un accès de rage imprévisible, il attrapa le bureau et le jeta devant lui, le faisant tomber des quelques marches qui le séparait du sol du salon. Son mobilier s'écrasa avec fracas et tout ce qu'il y avait dessus vola dans la pièce. Les stylos s'étaient étalés un peu partout, les feuilles retombèrent avec douceur tandis que la bouteille d'alcool qui y trônait avait terminé en éclat, laissant un excellent bourbon s'étaler sur les froides planches. Et dans cet immense brouhaha, la porte avait claqué une deuxième fois. L'appartement était de nouveau vide.

Si tant est qu'on pouvait en douter, le PDG de Black Horse Foods était arrivé en temps et en heure sur cette grandiose station, qui était maintenant à "quelques" kilomètres de la Terre. Et pour l'atteindre, il suffisait de prendre des prodigieuses navettes à des prix amplement raisonnables. Or, bien évidemment, un homme riche n'avait pas besoin de ça. Il pouvait se permettre un transport plus privé, voire personnel. Et plus le portefeuille annonçait un chiffre élevé, plus les contrôles étaient moins fréquents et moins assidus. Sauf que contrairement aux apparences, Josh Ivrancic ne faisait même pas partie des trente plus grosses fortunes de l'espace Concilien. Il n'était pas en reste et pouvait se permettre un train de vie qu'un infime pourcentage de la population pourrait un jour se permettre, mais ce n'était pas non plus quelqu'un d'extrêmement puissant ou populaire. Il était à mi-chemin entre la classe des privilégiés et celle des haut-placés. En l'occurrence, son chargement était à chaque fois bien inspecté. Le SSC pouvait laisser beaucoup de choses si on y mettait le prix - et le beau sourire innocent qui va avec - mais une armure et des armes, ça passe moins. En d'autres circonstances, le croate aurait eu accès à un équipement placé là au préalable. Il n'avait, bien sûr, pas un casier dans chaque centre d'intérêt mais la Citadelle... C'était différent. Et là, c'était l'exception de l'exception. C'était un tout autre ennemi, pas une quelconque urgence. Il ne fallait donc pas apporter la mauvaise armure au risque de commettre un sacrilège. Il fallait du sophistiqué. Et ce genre de sophistications... Les autorités y étaient allergiques.

Par chance, les récentes relations que la BHF entretenait avec Dahl Terminus avait permis à Ataan de squatter un container. Sans même que le volus ne puisse le savoir. Ce dernier était tranquillement assis à un café du Présidium, en ayant commandé une des rares boissons d'Irune qui trainait dans les fonds de placard. Il était infiniment plus utile qu'il n'y paraissait et on voyait en lui un certain potentiel, au-delà d'une ambition peut-être mal placée. Mais après tout, il trainait dans les business des Terminus et il fallait en savoir une sacrée paire pour s'imposer sur un marché qui n'avait que peu de règles et encore moins de contrôle. Quant à son plan pour débusquer l'ennemi que Josh et lui avaient en commun... C'était un bon plan. Peut-être qu'en surface, à cause de sa suffisance. Et cela valait le coup d'essayer. Un plan qui marche est forcément un bon plan. Puisque Manfred aime l'odeur de l'argent, tenter de lui en ponctionner une partie sur son terrain le fera réagir par pur orgueil. L'interrogation était la suivante : serait-il assez idiot pour tomber dans le panneau ? Sûrement. Plausiblement. Il y avait, de toute manière, trois solutions : soit il se fait prendre au piège, soit sa paranoïa aura raison d'Elkoss, soit il saura retourner le piège. Dans les trois cas, son ancien collègue avait de quoi le débusquer. Car quelque chose qui cherche à tout prix à ne pas se montrer finit toujours par se montrer.

Mais dans l'état actuel des choses, laisser le volus faire son métier était une assez bonne solution. Et à ce niveau là, le PDG était persuadé qu'il ferait un excellent travail relativement à ses réformes. Il serait, toutefois, seul. Et de facto, son allié n'avait aucune raison de venir. Ou plus précisément d'indiquer sa présence. Que faisait-il ici, du coup ? Disons que c'était une sorte d'encouragement. Discret comme une taupe, et c'était peu dire, Josh s'était faufilé parmi les tables dans un habit des plus civils et s'était assis à côté de Dahl. « Ravi de vous revoir, partenaire. » Il serait étonnant que son interlocuteur soit étonné. Vu le caractère des deux, il était évident qu'ils se soient mis sous surveillances. Il serait d'ailleurs amusant de constater qu'ils ont engagé le même pour faire ce boulot ingrat. Ironique, même. « Vous me conseillez un apéritif quelconque ? » On esquissait un faux sourire, tout en regardant le menu. Il était affiché, en toute lettre, "Je ne vous accompagne pas. M. ne doit pas être alerté par ma présence." « J'avoue hésiter. C'est tellement dommage que mon garde du corps soit occupé ailleurs. C'est un connaisseur. Il couvre toujours mes arrières, même en matière d'alcool. » Un clin d'oeil, hop, ça passe nickel. Il comprendrait. Peut-être.

Le volus venait de partir, laissant son partenaire sur place et vaquant à ses occupations. De futures occupations qui aideront grandement l'ensemble des parties puisqu'il mettront enfin la main sur l'individu désiré... Ce fameux imposteur que l'on surnomme Manfred. Mais en attendant, il valait mieux s'assurer de la véracité des informations que recevrait Elkoss et surtout de sa loyauté. Ou tout du moins de la loyauté de ses agents et seconds. Le problème avec la vermine, c'est qu'ils sont partout et qu'ils se vendent toujours à un certain prix. On ne peut donc jamais faire confiance aux gens. Et cela était ironique lorsque l'on savait qu'à peine quelques semaines plus tôt, le PDG assis tranquillement à sa table avait payé le fervent dirigeant de Dahl Terminus pour qu'ils soient alliés. Tout le monde est à vendre. C'est ce qu'on apprend dans le monde des affaires.

Et actuellement, on s'intéressait à un exécutant en particulier. Quelqu'un qui n'avait pas encore de nom et, de facto, d'identité. « Bordel. J'suis pas aussi souple que toi alors ça a intérêt à valoir le coup, ton histoire... » beugla une voix sortie de nulle part, dans l'oreillette de l'homme d'affaires. Surpris mais pas dérangé, ce dernier changea de position et mit sa jambe gauche sur son genou droit au lieu de l'inverse. « J'en déduis que le poisson a mordu. » A l'hameçon. Ça allait de soi. Mais on économisait les mots. « Il a plus que mordu, oui. Et il va me dénicher, c'est sûr. » Soudainement, un serveur s'approcha de l'humain. On fit un signe pour indiquer qu'on hésitait encore. « Qu'il te repère ou non n'a pas d'incidence sur l'opération. Au pire des cas, tu sais te défendre, non ? » rétorqua t-on ensuite avec un léger rictus. Cela n'avait pas eu l'air d'amuser l'interlocuteur qui, à l'autre bout du fil, grogna quelque chose. « Bon, le galarien bouge. Je continue à le suivre. » Un silence de quelques secondes s'installa tandis que l'on entendait le mercenaire préparer son équipement. « Et t'as reçu un cadeau d'ma part. » Nonchalamment, Josh porta la main à son omni-tool. Les coordonnées de l'endroit où l'aimable lézard avait rangé - ou planqué, selon le point de vue - un chargement précieux. « Merci. » Ce simple mot s'était échappé sans prévenir. Et ça démontrait l'estime qu'il avait pour son allié. « On se voit t'aleur, V. » La communication se coupa sur ces mots. Alors, au boulot.

Faisant une entière confiance au renseignement qui lui avait été donné, Josh avait parcouru la moitié de la Citadelle pour se rendre là où son armure avait été mise. Il ignorait si Dahl ou son assistant savait qu'elle était conçue pour lui ou non. Mais cela n'avait que très peu d'importance étant donné qu'à l'heure actuelle, Ataan n'était que le pseudonyme d'un mercenaire parmi tant d'autres dans les Terminus. Quelques rumeurs disaient qu'il agissait pour le compte du Courtier de l'Ombre... Quand bien même, il n'était pas encore recherché pour des crimes à l'intérieur de l'Espace Concilien. Non pas qu'il n'avait jamais effectué de mission dans le coin. Juste qu'il ne s'était pas fait prendre. Et vu l'ampleur des zones gérées par le Conseil, il était évident qu'il y avait des zones d'ombre où personne ne jette un œil de peur de le perdre... En conséquence, qu'ils sachent ou qu'ils ne sachent rien n'influeraient en aucun cas sur les positions actuelles de l'ex-Général. Ce serait un souci qu'il faudrait régler plus tard, si besoin.

Et pour le moment, il ne souhaitait que mettre la main sur son bien. Or, évidemment, les coordonnées étaient restées vagues. Toutefois, on avait eu l'intelligence d'implanter une puce GPS dans une des brassières, active à moins d'un kilomètre. Au-delà de ça, cela créerait une dangereuse fréquence trop perceptible. Mais lorsque l'on sait à peu près où chercher, dans un rayon suffisamment proche, c'était pratique d'avoir une puce à courte portée - enfin, relativement courte portée. Et là, on savait où chercher. L'homme n'avait qu'à suivre le signal, en essayant de ne pas alerter le SSC ou d'autres malfrats qui constateraient un comportement étrange. Et après une quinzaine de minutes de fouille, le PDG eut enfin le loisir de mettre la main sur une cache, bien camouflée et absente des cartes. Si bien qu'elle n'avait pas de protection maximale. Ou alors, son propriétaire s'attendait bel et bien à recevoir un visiteur et a justement pris ses précautions. De toute façon, tomber sur cette planque par hasard, ce serait plus qu'une chance.

Le temps étant compté, Josh se hâta. Il repéra sa caisse et introduisit le code là où ce fut adéquat. Elle dévoila son contenu sans broncher. Et c'était... des armes. D'une logique irréfutable puisque c'était la cargaison d'un fournisseur d'armement. Sauf que derrière, il y avait autre chose. Il fallait une combinaison plus spécifique afin de voir plus profondément ce qu'il se trouvait là. La disparition de la première couche laissa apparaître une armure décomposée. Son possesseur constata que son bras droit, sur lequel son nom d'agent figurait, avait été légèrement bougé. Tiens donc. Le galarien avait été suffisamment intelligent pour inspecter l'intérieur ? Ou alors, était-ce un peu de paranoïa ? A réfléchir. Mais pour l'instant, ils étaient dans le même camp donc qu'importe.

Sans vergogne, l'homme qui se tenait au-dessus de la caisse poussa un soupir avant de commencer à enfiler son armure. Et cela sans oublier son casque, qui le séparait de son identité actuelle. Et qui lui donnait, surtout, une toute autre liberté.

Une fois prêt, Ataan avait filé jusqu'au lieu de rendez-vous, avec son allié. Naturellement, on avait pas tellement fait attention de là où on se rendait, pourvu que ça menait quelque part. On était arrivé sans prétention, débarquant de l'ombre tandis que le mercenaire inspectait quelque chose du regard, en hauteur. Lorsqu'il entendit un bruit, il se retourna, Carnifex modifié à la main. « Ah, bordel. C'est toi ! » s'exclama t-il. « Un jour, j'vais finir par t'abattre "accidentellement" si tu continues comme ça. » Il avait bien insisté sur les guillemets du mot "accidentellement". L'Armure haussa les épaules et fit quelques pas en avant, ce qui mit le visage du mercenaire en avant. Il était balafré par les batailles et l'âge qui le gagnait petit à petit. Il approchait aisément la cinquantaine, si on devait estimer. Et c'était du coup un vieux de la vieille, reconnu par ses pairs. Un gars pas très bavard mais qui n'aimait pas le silence pour autant. « Ton galarien est en bas. J'crois qu'il doit rencontrer quelqu'un. Ou quelque chose. » C'était vague mais on lui avait demandé de suivre et surveiller les faits et gestes de l'agent, pas forcément d'obtenir toutes les informations à son sujet. « Parfait. Je m'occupe de la suite. » répondit-on d'une voix nettement plus rauque et caverneuse qu'à l'habituel. L'effet casque. « Génial. J'vais pouvoir retourner tuer du butarien et me saouler. Et pas forcément dans cet ordre. » Le vioc poussa un ricanement et croisa les bras avant de passer par le côté gauche d'Ataan. « Fais gaffe à toi, V. Une mort, c'est déjà suffisant. » Depuis qu'il était au courant que Varto avait survécu aux entrailles de la mort - non sans quelques subterfuges - il ne lésinait pas sur cette blague... Rappelant au passage à son ami qu'il n'était pas un chat à neuf vies mais bel et bien un mortel. Et comme à son habitude, ce dernier ne donna pas suite, tandis que la silhouette du mercenaire s'éloignait lentement derrière lui. « Et si t'as besoin, fais comme si j'étais pas là. » fit-elle, s'arrêtant un instant. Le casqué tourna le regard vers lui. « A plus, Z. »

Ataan avait à peine eu le temps de cligner des yeux que l'autre avait disparu. Et désormais, l'intérêt du jour revenait à ce fameux galarien et ses prochaines actions. Lentement mais sûrement, tout ça conduira enfin l'homme peiné à Manfred... et à sa vengeance.

Les balles fusaient au milieu des verdures, parcourant leur chemin avec une allure délirante et inégalable. Mais malheureusement pour elles, elles ne trouvaient refuge que dans les troncs de ces longs arbres exotiques qui peuplaient la luxuriante forêt voisine de Belak Tal Gorlak et n'avaient pas réussi à atteindre leurs cibles. Ces dernières courraient et virevoltaient à travers leur environnement, après avoir été forcés à lâcher leurs véhicules. Ensemble, les individus formaient un trio de choc, bien qu'ils manquaient une fine partie de l'équipe. Ils formaient néanmoins le cercle des guerriers aguerris et ils n'allaient pas se laisser faire par une bande de voyous aussi peu professionnels - rien que l'avantage qu'ils avaient tirés en abattant leur navette avait été surprenant. Un simple coup de chance qui ne se répéterait pas.

Bon, tout de même, il fallait garder à l'esprit que les poursuivants avaient l'avantage. Les fuyards, eux, continuaient leur route jusqu'à qu'ils finissent par tomber sur une racine d'un limalga ; la famille des limalgas est connu pour être la plus imposante branche de la flore locale, avec un corps pouvant grimper jusqu'à quatre-vingt mètres. Et au-delà de son impressionnante hauteur, le reste était tout aussi envahissant au sol et avait permis au blondinet de pouvoir se planquer un instant. Il avait sauté par dessus cette lourde racine, retombant sur quelques mètres et glissant sur la terre légèrement humide qui vint à sa rencontre. Il regarda sur sa droite et dans le même mouvement, adressa un mot gentil à son collègue. « TAHAR ! Couche-toi, abruti ! » Le butarien s'arrêta une demi-seconde puis imita son coéquipier. Il tomba sur son dos, raide, le Mattock bien enlacé. Jusqu'à ce qu'il ait un flash. « Euh... On a foutu quoi de Nessa ? » Il tourna la tête vers l'humain. Il manquait en effet la damoiselle, qui avait pourtant l'air de les suivre. Et dans cette jungle silencieuse, ils n'entendaient pas un bruit. Ou plutôt : plus un seul bruit. Plus de coups de feu, plus de bruit de pas pressés, même pas un rat ou autre créature du genre. Les deux bourrus réfléchirent avant de se rendre compte de leur grossière erreur. Soupirant, ils se relevèrent d'un seul homme et remontèrent ce qu'ils avaient franchis plus tôt. Et derrière cet obstacle d'envergure, ils virent bientôt leur amie, maintenue dans les bras pustuleux d'un vieux mercenaire aux quatre-yeux brillants. Trois étaient valides, à priori.

La situation était claire : Nessa était prise en otage par le type. Se le faire serait chose aisée mais il avait amené six potes ; trois vortchas, trois autres butariens. Sans doute une question d'équité. Coincés, ils ne pouvaient agir dans la seconde. « Essayez n'importe quoi et je la descends. C'bien compris ? » beugla le vilain. Agissant dans l'esprit, les opprimés n'eurent d'autres choix que de baisser les armes. « On aime pas trop que les Soleils Bleus v'ennent fourrer leur nez dans not' buis... buz... 'fin dans nos affaires. » enchaina t-il, agitant son pistolet. Ça ressemblait à un Carnifex mais en moins classe. « Alors, vous allez... Vous allez... » Il s'arrêta, hésitant. Il fixa soudainement ses pieds. « On a pas toute la nuit, tu sais. » L'affreux releva le menton et un visage colérique s'installa sur le sien. « TA GUEULE ! » L'impertinent haussa les épaules tout en gardant les bras levés et l'autre se remit dans ses pensées. « Vous allez... nous dire pourquoi vous êtes là ! Et où est vot' chef ! » s'exclama t-il après un dur moment de réflexion hasardeuse.

Les interrogés se regardèrent, encore, l'air un peu confus. « Toute'suite ou je lui fais la peau ! » s'impatienta le voyou, resserrant son étreinte sur l'otage. Pour se faire plus menaçant, il mit le canon de son piètre argument sur le coup de l'asari. « James... C'est quand tu veux, hein. » Le butarien avait l'air surpris que sa prise avait osé parler. Peut-être ne s'était-il même pas rendu compte qu'elle était douée de parole. « 'tain mais on t'a rien d'mandé à toi ! » rétorqua t-il. « J'veux le nom de vot' chef ! MAINTENA... » Sa phrase s'était terminée avec brusquerie, sur un dégluti particulièrement inaudible. Une échappée de sang étaient sortie de sa bouche et assez vite, il abandonna sa proie et son arme de poing. Tessa en profita pour s'éloigner d'un pas et jeta un coup d'œil au butarien. Elle n'avait pas vu ses deux compagnons lui tirer une balle en pleine tête. Et c'était pour une raison simple : ils n'étaient responsable de rien. C'était là l'œuvre d'un tout autre homme, dont la taille surplombait presque celle de sa victime. Agrippant cette dernière par le poignard qu'il venait de glisser à travers son torse, il approcha ses lèvres de son oreille et y souffla. « Vassily Varto. Enchanté. »

Sans vergogne, le galarien avait rejoint celui qui l'observait depuis plusieurs minutes. Il y avait deux choix à cette perspective : soit le croate commençait à rouiller niveau furtivité, soit son futur allié était plus doué qu'il se l'imaginait. Il était étonnant qu'un volus comme Dahl Elkoss puisse se payer un agent d'une telle qualité mais après tout, pourquoi pas ? Bon, il fallait aussi reconnaître que dans son armure complète, l'humain n'était pas de plus méconnaissables. Il avait pourtant souhaité une certaine flexibilité dans ses déplacements et n'avait pas opté pour un équipement ultra lourd. Dans tous les cas, ça n'avait pas d'importance.

Le galarien s'était présenté avec courtoisie avant d'entrer dans le vif du sujet. « Et comment, dois-je vous appeler ? Juste pour simplifier la communication durant la mission, bien sûr. » L'Armure soupira. « Ataan suffira. » avait-il répondu, avec une voix masquée par son casque. Qu'un type comme ça connaisse son "secret" n'avait guère de pertinence, si ce n'est qu'il encourait une morte discrète et rapide. Mais il ne fallait pas le crier sur tous les toits non plus. Il n'était pas justicier mais mercenaire, voire assassin selon les cas et son pseudonyme l'avait fait connaître ici et là. Toutefois, il fallait tout de même trainer dans des endroits bien sombres pour avoir entendu parler d'Ataan et de ses... exploits. Son interlocuteur y avait fait à peine attention, ne se débinant pas. « Vous pourriez me considérer comme une gêne, mais croyez moi, vous allez vite m'apprécier. Le boss ne m'envoie que sur des missions spéciales. Et croyez moi, j'ai des compétences tout aussi spéciales. Vous verrez ça sur place. » Oui. C'était le cas. "Il verrait". Comme s'il pouvait s'en soucier. « Mon rôle est d'abattre la cible. » reprit-il, en toute honnêteté. « Ne me gênez pas et je ferais avec. »

Son ton glacial ne devait pas étonner l'agent. D'origine, Josh Ivrancic n'était pas des plus chaleureux. Et quand il s'agissait de Manfred, ça n'allait pas en s'arrangeant. « Puisqu'on aborde le sujet, où en sommes-nous ? »

La proie de Varto était retombé avec douleur, s'agenouillant devant l'asari qu'il avait tenu en joug quelques instants plus tôt. Dans ses tourments, le vil butarien ne pouvait plus faire grand chose : son assaillant avait transpercé une artère qui se vidait lentement et le blessé n'avait même pas le loisir de pouvoir gémir, un tel effort ne pouvant qu'aggraver sa situation. Il restait là, immobile, tétanisé par le coup qui l'avait surpris. Réalisant à peine ce qui lui était arrivé, ses compagnons demeuraient aussi dociles. A en croire leur regard, c'était comme si la mort elle-même s'était abattu devant eux. Leurs yeux ébahis tremblaient et leurs muscles refusaient toutes réactions. Seul un eut vaguement le courage de bouger dans ce silence ambiant, reculant avec une lenteur exquise. Mais cette initiative n'eut pas l'effet escompté : mettant un pas en arrière, le vortcha téméraire avait buté sur une brindille dans le craquement avait fait sursauté tout le monde. Plus vifs, les Soleils Bleus remontèrent leurs fusils, hésitant encore à appuyer sur la gâchette. Moins fébrile, le géant tombé du ciel avait repris l'arme de poing qui avait menacé son alliée, la dénommée Nessa. Sans vergogne, il visa le vortcha agité à la tête et tira un coup, prompt et rapide. Cassant définitivement cette bulle où le temps semblait s'être arrêté, Varto avait regardé ses subordonnés finir le travail et allumer les autres bandits. Ils avaient beau avoir un armement d'une qualité passable, ils n'en étaient pas de même pour leurs armures, qui pouvaient très vite s'apparenter à du carton si on usait des bonnes munitions. Malchanceux et mal tombés, ils ne pouvaient plus rien changer à leur destin et chacun d'entre eux s'écrasèrent aux côtés de leur chef, dans un théâtre de boucherie tropicale. Et pour cause, il n'en restait plus qu'un, qui souffrait encore, la langue ravalée.

Le Commandant l'enjamba, laissant son pistolet d'opportunité à l'asari. Nessa n'attendit aucune directive, aucun ordre. Elle se contenta de pointer le canon sur la tempe. Le butarien devait comprendre ce qui lui arrivait et, dans un sens, était peut-être soulagé qu'on s'occupe de lui. Cela dit, son sort n'avait plus d'importance pour le reste de l'équipe, qui était plutôt concentré sur le nouveau venu. « Vassily Varto... » souffla l'homme de la bande, enlevant son casque dans le même mouvement. Un visage de blondinet grisotant se dévoila. Il dévisagea le russe. « Bordel, on te croyait mort ! » Sans plus attendre, James colla son armure contre celle de son ami, entamant une manœuvre maladroite d'embrassade. « Mort ? Il en faudrait plus pour m'empêcher de revenir. » Son ton incroyablement maussade et monotone avait fait sourire les deux bourrus. « Un mois sans nouvelle, c'est beaucoup. Même pour toi. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? » On haussait les épaules, se contentant d'une grimace. « En mission, rien de plus. » Il ne put pas en dire plus qu'un tir tonna derrière eux. Après un étrange râle, la charmante et pragmatique asari qui leur servait de hacker débarqua avec nonchalance. « En mission ? C'est tout ce que t'as à dire ? » Elle secouait le Carnifex, histoire d'enlever le sang qu'il y avait dessus. « Tu n'es pas si mystérieux, en général. » « C'est vrai que ça en fait des mystères. D'abord Zaeed nous envoie ici sans raison et ensuite tu réapparais comme par magie. » en rajouta Tahar, qui était plus futé qu'il n'y paraissait. Le trio semblait d'accord : quelque chose ne tournait pas rond et quand bien même ils étaient heureux de revoir leur leader, qu'est-ce que cela pouvait bien présager ?

« Je sais que vous devez vous poser des questions. Ne vous en faites pas, je vous raconterais. Mais il faut d'abord finir le job, ici. » C'était une façon de calmer les esprits, pour Varto. « Je veux bien mais on a pas eu beaucoup d'instructions. Juste qu'on doit trouver un type qui s'appelle... » « Dickinson. Je suis au courant. Et je sais où il se terre. » affirma le Commandant. Sans perdre plus de temps, il avança sur sa gauche, d'un pas décidé. Et au bout de quelques mètres, constatant sa solitude, il s'arrêta un court instant. « Vous venez ou vous comptez rester là ? » fit-il, sûr de son fait.

Le rapport du galarien avait été précis et pas si inexacte que ça. Dickinson était bien un nom familier... Même plus que familier pour Ataan. C'était, pour ainsi dire, une vieille connaissance qu'il aurait préféré oublier. Mais le trouver mêlé à tout ça n'avait rien d'étonnant, bien au contraire. Cela dit, il ne serait pas aisé de débusquer une personne pareille. Abbadon avait l'air persuadé qu'il s'agissait d'un vil politicien sans prétention et donc un rouage de l'organisation de Manfred. Comme la pomme ne tombe jamais loin de l'arbre, il allait sans dire que ce n'était pas un mauvais raisonnement et qu'il se rapprochait plus ou moins de la vérité. Sauf qu'avec Manfred et ses comparses, il ne fallait jamais croire l'hypothèse la plus simple. Ça n'était jamais aussi simple. Et le politicard ne faisait pas exception à la règle.

Mais pour l'instant, il était inutile de partager des détails inutiles avec ce nouvel allié. Ce serait s'encombrer, sans compter qu'avancer à l'aveugle permet parfois de trouver plus vite la lumière. De fait, l'Armure avait préféré suivre le galarien en ne répondant que le strict nécessaire, le suivant dans sa quête vers le Présidium. C'est qu'il avait de la jugeote et du savoir-faire, pour un agent de son type. Il avait même concocté un plan sur mesure, qui était étonnamment prometteur. « C'est un bon plan. » dit-il, avec sa voix rauque. « Mais j'ai mes propres... manières. Donc je propose qu'on se retrouve là-haut. » Sans aucune prétention, il s'était retourné et avait allumé son omni-tool. « On reste en contact. » Il avait agité son bras, montrant bien ce qu'il voulait dire par là. Puis un bruit vint distraire son camarade, qui avait tourné la tête. Rien d'inquiétant, à priori. Mais le temps qu'il vérifie, il avait baissé sa garde et Ataan avait déjà disparu, dans l'ombre de l'immeuble qu'il restait à gravir...

Comme il l'avait expliqué de manière si charmante, il avait ses propres façons de débarquer chez les gens. Et pour cause, il était plutôt doué pour tout ce qui touchait à l'entrée par effraction. Dahl s'en souviendrait longtemps. Les appartements de Dickinson n'avaient rien de plus que les autres, si ce n'est une garde personnelle. D'après les capteurs, il s'agissait de deux hommes. Le visuel qu'il avait sur l'un d'eux offrait des informations en plus : corpulent, les épaules larges et la postule d'un militaire. Sans oublier la présence d'une oreillette. Le premier sur lequel Ataan était tombé se tenait devant un bureau et il avait l'ensemble de la pièce dans le champ de la vision. Il allait falloir faire vite. Retenant son souffle durant une demi-seconde, l'ex-Soleil Bleu était entré en fureur. Par réflexe, le soldat avait balancé son poing vers l'intrus. Le poing partit dans le vide et celui à qui il était destiné eut le temps pour frapper dans la nuque de son adversaire. Ce dernier sembla perdre connaissance et son corps s'effondra sur l'Armure, qui évité soigneusement toute chute trop brusque et trop bruyante. Et pourtant, il avait à peine eut l'écart pour ça que l'autre débarquait.

Faisant aussi vite que possible, Ataan se planqua sur le côté, attendant que le deuxième garde franchisse l'entrée. La présence de celui-ci confirmait, au passage, l'absence du politicien. Et il était bien plus vif que son collègue puisqu'il avait su esquiver l'embuscade. Il avait même rendu un coup, regrettant amèrement d'avoir visé le casque la seconde d'après. Mais plus sonné et surpris par la contre-attaque, le russe ne vit pas venir la seconde charge. Elle l'envoya valser au dessus du bureau et il retomba sur le corps de l'assommé, dans un bruit sourd. Le soldat se réveilla avec un petit cri, qui fut vite éteint grâce à un coup de coude bien placé. Le deuxième s'approcha avec ferveur, histoire d'achever son ennemi. Aussi fut-il abasourdi quand il le vit debout. Préférant jouer sur la force que sur la sûreté, il balança ses poings avec vélocité. Quelques uns passèrent mais Josh encaissait bien. Au bout de quelques secondes, il réussit à en éviter un et il profita de cet instant pour viser le genou de l'assaillant. Endolori, le genou s'écrasa au sol et le garde voulut prendre son arme mais on l'en empêcha avec force. Comprenant que l'intrus prenait le dessus, il essaya de rattraper le pistolet. Il se coucha, rampant vers lui... Mais comme le fut Varto en un temps, Ataan n'était pas des combattants des plus cléments et loyaux. C'était dommage car l'inconnu avait bien vécu une belle bataille mais il fallait en finir. Il activa son omni-blade et porta le coup fatal.

Le casqué se releva. Il n'avait pas prévu de tuer aujourd'hui donc l'autre vivrait, pourvu qu'il ne se réveille pas. Les minutes étant comptées, il enjamba cette chanceuse non-victime et décida de jeter un coup d'œil au bureau. Il n'y avait rien d'inquiétant, à première vue. Il aurait pu ouvrir les tiroirs mais en ces années, il n'y avait que très peu de preuves physiques. Il préféra ouvrir le terminal et pirater les renseignements qui pouvaient s'y trouver. Conscient qu'un traceur pouvait se trouver dans le lot, il commença le téléchargement.

27% plus tard, il entendit un bruit. Des pas, des cris... Et bientôt des tirs. En dehors de l'appartement, il y avait du grabuge. Coïncidence ? Peut-être. Peut-être qu'après tout, son ami galarien avait moins de compétences qu'il n'y paraissait. Il fallait s'en assurer. « Abbadon, auriez-vous des ennuis, par hasard ? »

Le galarien avait débarqué avec presque autant d'aisance que son nouvel équipier. Il avait juste été moins rapide, ce qui était surprenant pour un agent de son espèce. Ils ont plus l'habitude de se faufiler partout et en dépit de son plan bien tracé, Ataan était persuadé que le larbin d'Elkoss allait se contenter de passer par les conduits. Mais non, il avait préféré passer par le grand couloir. Il en avait une sacrée paire, pour sûr. Si tant est que cela demeure métaphorique.

En tout cas, cela éviterait à l'ex-Général bien des soucis ; du style devoir récupérer son allié en détresse ou devoir expliquer au volus pourquoi sa grenouille favorite avait terminé criblée de balles. Et il pouvait ainsi se concentrer sur la barre de téléchargements qui le narguait. Croisant les bras, il ignorait ainsi cordialement son camarade puisqu'il n'avait rien de bon à lui dire tant que rien n'avait été transmis. Ils patientèrent ensemble quelques bonnes minutes dans le silence le plus total avant que l'omni-tool de l'humain se mette à clignoter avec ferveur. Il cliqua machinalement dessus et des plans s'affichèrent promptement. Ils défilèrent les uns après les autres, démarquant une installation sauvage. « Et bien, ça, c'est intéressant... » lâcha t-on avec une voix rauque. Le galarien avait l'air relativement interpellé. Quittant le bureau pas à pas, l'Armure arriva à sa hauteur. « Voyez-vous, la dernière fois que j'ai vu Manfred, c'était sur Pragia. Je pensais qu'il avait abandonné la planète, depuis. Mais visiblement, je me trompais. » Sur ces notes emplies de mystère, il continua à s'avancer et finit par se planter devant la porte d'entrée. « Il n'y a rien de plus, ici. Sauf si vous tenez à fouiller. Mais dans le cas contraire, peut-être devrions-nous aller voir votre boss. » Ignorant si Abaddon était un adepte des perfectionnistes ou non, Ataan se prépara à partir. « Vous devriez quand même sortir une arme ou deux... Je suis bon, vous avez l'air bon, mais je doute que nous soyons si bons. »

Dans l'organisation informelles des Soleils Bleus, il n'y avait pas de comité directionnel particulier ou de conseil d'entreprise. C'était là un assemblement de mercenaires dirigés par des hommes plus ou moins charismatiques et talentueux au fil des années. Zaeed Massani, qui fut l'un des fondateurs, en faisait partie. Mais la Guerre des Moissonneurs avait laissé place à beaucoup de doutes sur ces chasseurs libres qui s'étaient rangés du côté d'Aria et qui, avec des effectifs bien dégrossis, avaient été séparés. Le groupe uni s'était scindé en divers groupuscules et ne pouvait rien y changer, Darner Vosque avait déclaré qu'il tuerait quiconque s'opposant à son autorité. Le grand allié du héros de la Citadelle avait vu là une occasion opportune de reprendre le contrôle de ses poulains. Et était alors né une guerre interne avec d'un côté, des Soleils Bleus impitoyables et sanguinaires et de l'autre, des Soleils Bleus vindicatifs et pragmatiques. Il était inutile de dire que les fidèles de Vosque formaient ce premier état et étaient plus craints que respectés. Au devant cette mascarade, un de ses lieutenants avait choisi le camp adversaire. Ce lieutenant, c'était le Commandant Vassily Varto. Mais s'il avait eu le loisir de trahir son ancien chef, c'est qu'il en avait eu le pouvoir et le soutien. Un soutien qui cachait un troisième parti, régissant les actes de Varto et auquel Zaeed ne faisait pas opposition, sans pour autant en comprendre toute l'essence. Cette troisième pièce de l'échiquier était ce qui avait amené le russe et son équipe sur Pragia.

Connus et reconnus pour être aussi efficaces que démonstratifs, l'escouade qu'avait formé l'ex-soldat de l'Alliance intéressait bien des tierces et là, en l'occurrence, l'un d'eux avait fait expressément appel à eux. Nessa, Tahar et James ignoraient à qui ils auraient à faire mais Varto, lui, le savait. Il s'agissait d'un agent de l'ombre, dénommé Manfred, dont on avait beaucoup entendu parler sans jamais le rencontrer. Et là, lorsqu'ils avaient trouvé ce complexe sauvage qui arborait visiblement l'égide d'une société écran diverse, le Commandant en avait presque eu la chair de poule. Il s'imaginait déjà devoir faire face à un bureaucrate imbu de lui-même, intellectuel à souhait sur des sujets qui n'intéressent personne et le visage complètement détruit par son propre égocentrisme. Ça et une pointe de génie de la finance un peu loufoque. Si tant est qu'il s'agissait de quelqu'un à visage découvert et pas d'un volus... L'inconnu était là mais l'exécutant avait remarqué beaucoup d'allusions à un volus lorsque Manfred apparaissait quelque part, auparavant. Mais depuis la fin de la guerre, ces allusions avaient disparues. Il en avait déduit deux alternatives : soit il s'agissait d'un volus mais ce n'était pas le cas avant et on l'on voulait brouiller piste, soit ce n'était plus un volus et on ne voulait plus s'y référer comme tel. Dans son ordre, l'usage était extrêmement complexe et contradictoires alors tout pouvait arriver. Toutefois, ce qui comptait, ce n'était pas l'espèce de l'intéressé mais ses capacités. Et malgré la mauvaise image qu'il s'était peinte de lui, l'homme savait qu'il allait rencontrer un esprit particulier.

Aussi était-il le seul à pouvoir obtenir une réunion préalable avec ce businessman. Il avait laissé ses seconds au vestiaire, là où il pourrait faire des trucs de seconds et lui était monté d'un étage. Ou peut-être deux. Toujours est-il qu'il avait suivi une assistante asari bien aimable et ils s'étaient arrêtés devant une porte en imitation bois. Sa guide avait alors communiqué son arrivée dans l'intercom. Elle s'était ensuite contenté d'afficher un sourire avant de repartir. Varto eut à peine le temps de tourner la tête que la porte s'ouvrit devant lui. L'instant de vérité.