Septembre 2198
Turvess
Nation Zephyr
Zephyr

Il était accoudé sur la rambarde de ce balcon qui surplombait une sorte de placette en contrebas. Une ancienne clairière forestière, que les installations avaient petit à petit urbanisée soit en des constructions faites de toute pièce, soit directement taillées dans les gigantesques arbres qui formaient les grandes jungles et forêts de Turvess. De nombreux Ralois s'y trouvaient, trouvant leurs occupations habituelles en fonction de leurs attributions sociales, ou bien profitant de leur libre temps pour leurs loisirs. Dans cet instant présent, il ne s'agissait pas réellement ni de loisirs, ni de quelque chose de professionnel.

Il s'agissait de quelque chose qui dépassait tout le monde. Une section de Gardiens du Sanctuaire, la milice policière de Zephyr, avaient pénétré la foule par une allée adjacente, et s'approchaient d'une sorte de kiosque en bois qui surplombait lui aussi la placette. Ythaq avait donc une vue directe sur les Gardiens, et remarquait qu'ils traînaient quelque chose - ou quelqu'un - avec eux.

Un corps. Un cadavre, peut-être ? Il ne put clairement distinguer s'il était mort ou vif. Cependant, sa présence alarma les Ralois présents, qui commencèrent à prêter attention aux agissements des Gardiens. Ceux-ci s'étaient positionnés dans le kiosque et semblaient attendre qu'ils aient l'attention de l'audience. Un des Gardiens s'avança près du rebord du kiosque - probablement le plus gradé - et fit face à la foule, profitant des deux-trois mètres dont il disposait au dessus du niveau de son audience pour pouvoir être entendu en bonne et due forme. Le Raloi en question prit une voix grave et forte afin d'être clairement ouï :

« Vous savez tout aussi bien que moi, que les Avians, ces Bhal'trem, comme ils aiment bien s'appeler, défient l'essence même de ce qui fait de nous des Ralois. Nous avons surpris cet... espion, traître à son espèce, tentant de récolter des informations sensibles dans les faubourgs du Premier Sanctuaire. »

Ythaq écoutait attentivement. Il était revenu il y avait de cela presque trois années sur sa planète natale dans le but de comprendre le conflit naissant, ce grondement sous-jacent qui petit à petit animaient les habitants de la planète, Zephyrons ou Avians. Cela avait commencé par des zélotes Zephyrons, des extrémistes, qui avaient tenté de voler de la technologie dans la capitale planétaire. Cela s'était suivi par des déclarations politiques ou religieuses vis à vis du statut de Zephyr sur la scène galactique par rapport à ses confrères Avians. Jusqu’à l'attentat de l'ancien palais du Thul'Odin, à Aviana du temps où il régnait là-bas; faisant un peu moins d'une dizaine de morts. Un attentat-réponse s'était ainsi produit à Zephyr, quelques semaines plus tard, d'une nombre de morts un peu plus élevé. Ythaq craignait l'escalade, mais étonnamment, ce ne fut pas allé plus loin en ce qui concernait les massacres.

Cependant, sous le voile de paix que tentait de tisser le Thul'Odin Tuyir'Tha Namir depuis 2196 date du tristement célèbre attentat à Aviana, le conflit prenait en ampleur. Si pendant des siècles Aviana et Zephyr, malgré un historique de tragiques guerres saintes, avaient réussi à s'entendre jusqu'à aujourd'hui, le climat actuel s'assombrissait de jour en jour. La méfiance, le doute, l'amalgame, la suspicion, la vengeance et la colère commençaient petit à petit à naître que les habitants des deux nations.

Il assistait aujourd'hui a une nouvelle démonstration de cette folie naissante. Fallait-il blâmer les Gardiens, faisant chose publique quelque chose qui aurait dû être remise entre les mains de la branche judiciaire de la caste du Vent; ou véritablement traîner et lyncher ce pauvre Raloi qui avait probablement obéi aux ordres ? Ythaq craignait qu'une telle chose arrive : avoir de plus en plus de mal à distinguer la limite entre le blanc et le noir, qui allait inévitablement se fondre en une infinité de nuances de gris. Il y pensait depuis un moment, mais, en son rôle d'éclaireur-guerrier, il ferait son rapport à Ari'ka, l'ambassadrice Raloise sur la Citadelle, en lien direct avec les hautes instances de Turvess, aussi bien à Aviana qu'à Zephyr.

Honte à lui !
Qu'il soit jugé !
Mort aux traîtres ! Mort aux dénaturés !
Longue vie au Thul'Odin !

Ythaq observait, impassible, ce malheureux spectacle. Deux autres Gardiens empoignèrent le corps de l'Avian, qui avait l'air vivant bien que sonné, et le rapprochèrent de la rambarde, là où elle pouvait s'ouvrir, afin d'exhiber clairement le prisonnier.

« Nous allons lui réserver le sort que les Avians méritent à cause de leurs agissements envers notre Nation, envers le Thul'Odin, envers leurs racines : l'exil au Bourbier. »

Ythaq soupira, sentant une certaine gène monter en lui. Le Bourbier était une zone bien connue des Zephyrons, voir peut-être même des Avians les plus curieux : une partie de jungle infestée de marécages, aux prédateurs variés et affamés, où la survie était difficile et les Gardiens aimaient rappeler à leurs prisonniers ce châtiment, pour "remettre dans le droit chemin". Le Bourbier se trouvait dans la zone sainte, le Cercle, qui entoure le Premier Sanctuaire sur une centaine de kilomètres de rayon. Le Bourbier lui n'était qu'une zone de plusieurs hectares. Sa spécificité est qu'il se trouve dans une cuvette entourée de zones très vallonnées voire montagneuses. Il n'y a que peu d'accès à cette cuvette à moins de traverser les reliefs à force des muscles et de beaucoup de volonté.

Autant dire que le pauvre Avian était destiné à mourir. Les prisonniers qui survivaient étaient trop brisés pour pouvoir résister au bon repas et a la bonne couchette que leur réservaient les Gardiens. Mis à part les exils de certains prisonniers ou de traîtres, le Bourbier était parfois le lieu de prédilection de vieux chasseurs expérimentés, le plus souvent des anciens garde-forestiers de la Caste de l'Eau.

Au Bourbier !
Mort ou converti !

Quelque chose rassura Ythaq : certains Ralois, étonnés par la radicalisation du discours de certaines personnes de la foule, s'écartèrent et repartirent dans le sens opposés, réduisant petit à petit la masse à une dizaine de Ralois criant la mort au Raloi. Les Gardiens, eux, étaient déjà sur le départ. La définition des nuances de gris étaient encore bien a déterminer entre les zélotes, les fanatiques, les modérés, ceux qui subissaient la pression des politiques et les vrais pacifistes.

Il y avait du boulot sur la planche. Néanmoins, Ythaq s'intéressa à l'Avian. Peut-être pourrait-il en apprendre de sa bouche avant qu'il ne soit livré à son destin au Bourbier. Il se redressa et se dirigea vers les escaliers les plus proche afin de descendre vers la placette.

Septembre 2198
Turvess
Nation Zephyr
Zephyr


Pendant qu'il accédait à la placette, les Gardiens emportaient le corps de l'Avian en dehors de celle-ci. La foule, déjà morcelée, se dissipa davantage. Personne ne remarqua donc la présence de l'éclaireur-guerrier quand il suivi les Gardiens. Certaines personnes, au passage du cortège, lançaient une insulte ou simplement ignoraient le pauvre Raloi. Ils allaient de placettes en placettes, contournant des habitations, des clairières, des bâtiments en bois dur. Ils s'arrêtèrent un instant devant un autel consacré aux trois éléments distinctifs de la religion élémentaliste Raloise. Un des Gardiens gifla le traître afin de le réveiller de son semi-coma et, le tenant par les tresses de ses cheveux, le traîna jusqu'au devant de l'Autel.

« Vois, ce que tu as renié ! Pardonne leurs, et ils te pardonneront. Peut-être. », clama le Raloi, solennel, avant de l'empoigner a nouveau pour l'emmener à son lieu de destination.

Ythaq était décidé à ne pas agir, malgré qu'il en ait très envie. Cela serait contreproductif vis à vis du prisonnier et de lui-même. Il fallait qu'il récolte des informations d'une façon plus subtile. D'un autre côté, il était affranchi de nombre de règles par son statut d'éclaireur-guerrier. Mais se dresser face aux Gardiens était une chose qu'on regrettait amèrement. Ils étaient entraînés, endurcis, aguerris par la force de l'âge et des épreuves subies. Ils disposaient aussi de la technologie de pointe importée d'Aviana, contrairement aux habitants de Zephyr, qui se reposaient sur la sagesse et la puissance de leurs protecteurs contre la nation ennemie.

Après quelques détours, les Gardiens arrivèrent enfin à leur destination. Une sorte de petite forteresse affiliée aux protecteurs du Royaume. Ythaq connaissait ce genre de lieux dans lesquels les guerriers de la caste de Feu venaient régulièrement y dispenser ou se voir dispenser cours, formations et recevoir des missions ordonnées par les branches directrices de la société. L'éclaireur-guerrier avait déjà pénétré dans ces lieux disséminés dans la nation de Zephyr, et suivi les entraînements.

Il avait tout intérêt a être sûr de son coup en passant le pas de la porte. Il était fort possible qu'ils le transfèrent au Bourbier le lendemain, après un bon repas et une bonne nuit. Le calme avant la tempête... ou la mort. Quoi qu'il en était, il devrait agir cette nuit. Rapidement, et efficacement. Le but : récolter des informations sur sa mission, les commanditaires, et, surtout, pourquoi.

Il fallait dire qu'Aviana avait peu à craindre de Zephyr. Mis à part son armée de Gardiens et la volonté farouche de ses habitants, ce n'est pas comme s'ils disposaient d'une force de frappe rivalisant avec le Vol Raloi, l'armée Raloise à Aviana.
Peut-être était-ce parce qu'avec la naissance de la société de consommation de l'autre côté de la vallée, l'intérêt pour l'armée et les valeurs patriotiques véhiculées avec s'étaient amoindries ? Peut-être estimaient-ils le potentiel de Zephyr à une riposte en cas d'attaque ?

Il fallait en être sûr. Le doute n'était pas permis.

Le soir venu, le crépuscule déjà bien entamée, les torches et lampes à huiles allumées pour les luminaires les plus sophistiqués, le fond de l'air se rafraîchissant et la légère brise venant faire tressaillir ses plumes bleues, Ythaq était décidé a infiltrer la forteresse des Gardiens. Fort de son entraînement, il n'eût aucun problème a pénétrer l'enceinte, ni a se faire passer pour un des Gardiens. Il en avait la carrure et l'expérience, étant un guerrier lui-même.

Après avoir déambulé dans les quartiers pendant un long moment, il fut interrompu dans sa recherche par une discussion.

« Encore une nouvelle tentative d'espionnage des Avians. Ça fait la troisième en deux semaines. Et tu sais quoi ? Il paraît que le Thul'Odin en personne veut venir ici demain matin pour voir le prisonnier. », lança le premier Gardien.
« C'est confirmé ? J'espère qu'il est - ou sera - en meilleure forme que quand ils l'ont amené ici. Ils veulent le jeter au Bourbier lui aussi ? », demanda le second.
« C'est ce qu'à dit le chef, en tout cas. S'il vient, le Thul'Odin décidera peut-être de le gracier, pour tenter de calmer le jeu. »
« C'est loin d'être idiot. Au contexte actuel, une guerre entre Avians et Zephyrons serait catastrophique. Le "Conseil Galactique" interviendrait, tu penses ? »
« Franchement ? Ça serait mal vu ici. Parcontre, je pense que les Avians feront sûrement appel à eux. Si c'est le cas, on a aucune chance en cas de conflit. Ça sera un massacre inutile. Notre seule chance de pouvoir renseigner correctement la communauté alien de la situation, c'est la Jho'Baal sur la Citadelle. Le soucis, c'est qu'elle est censé représenter la race, et non les deux nations. », continua le premier.

Ythaq s'était caché dans un coin sombre, à l'abri des vues, mais il arrivait a clairement entendre la discussion a la lumière artificielle de petites lampes électriques, sûrement importées d'Aviana. Il lâcha un soupir sous cape. Après avoir entretenu des relations strictement professionnelles avec l'ambassadrice pendant plus de 7 ans, il pouvait sans conteste affirmer qu'elle n'avait aucun pouvoir ni l'autorité nécessaire pour ne serait-ce que transmettre un compte-rendu de la situation au Conseil Galactique.

Les Ralois manquaient clairement de représentation. Depuis le temps, le vaccin anti grippe aviaire avait été distribué a tout les Ralois désirant quitter la planète, mais, étrangement, tous ne désiraient pas partir. Afin d'éviter des dépenses phénoménales en traitements et en checklists de la population, les gouvernements n'avaient pas obligé tout les Ralois à se faire vacciner. L'obligation demeurait uniquement si l'individu désirait quitter la planète. Pour ainsi dire, ne serait-ce que pénétrer dans le Spatioport d'Idael, vaste zone commerciale et économique galactique réservée à ce type d'échange, nécessitait un vaccin pour les individus Ralois.

« Le Thul'Odin ET le Thul'baal ? »
« Le Thul'baal a tout a y gagner en achetant l'ambassadrice Ari'ka. Le Thul'Odin lui essaie juste je pense de protéger Zephyr par la vision qu'Ari'ka en fait auprès du Conseil. »
« En bref, si Aviana décide un jour de nous envahir, on est foutu. On aura beau se battre comme de vrais guerriers, on aura beau avoir toute la population a nos côtés, face au Vol Raloi ET a une intervention galactique... »

L'un sembla hausser les épaules, lâchant un soupir de lassitude.
« Nous nous battrons comme nous nous sommes toujours battus. Si nous existons encore, c'est grâce au sang de nos anciens. »

Les deux claquèrent leur poing fermé contre leur buste d'excroissances osseuses.
« Valafaï oy Thul'Odin, mon frère. »
« Valafaï maun dei otin. »

Puis ils repartirent dans une direction opposée, dans le silence des vœux de louanges aux anciens et au guide spirituel. Ythaq attendit quelques instants, avant de reprendre sa recherche du prisonnier Avian. Après quelques dédales, il le localisa dans une pièce assez sombre, pauvrement éclairée par une petite bougie qui, de la façon dont la flamme s'agitait, allait sembler s'éteindre à chaque instant. Il était enchaîné comme une chiffe molle au mur. Il avait une triste mine, et il semblait bien esquinté, a en voir les marques et ecchymoses sur ses plaques osseuses. Ythaq espéra que ce ne fut pas les Gardiens qui étaient responsables.

Il semblait non gardé, les geôliers probablement rassurés par les chaînes. Ils avaient probablement raison, d'ailleurs. Elles semblaient bien difficile a briser.
Et le pauvre n'était clairement pas en état de tenter quoi que ce soit.

L'éclaireur-guerrier observa en vitesse autour de lui, tentant de déterminer s'il était suivi ou s'il y avait un risque qu'il soit découvert, puis pénétra dans la pièce, se rapprochant de l'Avian. Un bac en oseille solidement tressée semblait contenir ce qu'il portait avec lui à ce moment-là. La plupart des objets étaient des choses qu'on ne trouverait jamais à Zephyr. De la technologie avancée - pour Zephyr -.

Il s'approcha, puis s'abaissa à son niveau. Il posa une patte sur l'épaule de l'Avian et l'autre patte enserrant son bec afin qu'il ne fasse pas de bruit. Cela réveilla le prisonnier en sursaut, ne lâchant finalement qu'un souffle par ce qui lui servait de narines. Ses yeux trahissaient sa fatigue, mais il semblait déterminé. Ythaq parla à voix basse afin de ne pas attirer l'attention.
« Shhht. Écoute moi. Je ne suis pas ton ennemi, même si mes attributs me trahissent. Je suis un éclaireur-guerrier, et je suis revenu quand j'ai appris les différents évènements qui frappaient mon peuple et mon espèce. Si tu sais ce que sont les éclaireurs-guerriers, tu n'as rien a craindre de moi. Tu veux bien répondre à quelques questions ? Si tu cries, ou donnes l'alerte de quelconque façon, je te jetterais personnellement au Bourbier. Compris ? »

L'Avian fit un mouvement de tête vertical qu'Ythaq put sentir entre ses griffes. Il relâcha la pression, et l'Avian, après avoir exécuté quelques mouvements de "mâchoire", s'exprima.
« Que veux-tu savoir, éclaireur ? »

Ythaq réfléchissa deux secondes, puis lança :
« Quel est ton nom ? Et où t'ont-ils récupérés précisément ? »

Étonnamment, l'Avian semblait perturbé par ces questions, le changeant probablement du "Pourquoi" traditionnel :
« Virn... Je m'appelle Virn. Ils m'ont trouvé dans le Cercle, non loin du Premier Sanctuaire. »
« Pourquoi ? »
« Ils connaissent mieux le Cercle que moi, il faut cr-. grrlrlrlglgrl- »

Ythaq lui avait empoigné la gorge, plongeant alors son regard saphyr dans ses yeux. Il tourna légèrement la tête sur le côté alors qu'il disait :
« Ne te moque pas de moi. J'ai vu bien plus de choses en parcourant la galaxie que tu n'en verras dans ta vie. Parmi ces choses, il y a d'ingénieuses méthodes de... comment dire... d'incitation à s'exprimer. », termina-t-il en relâchant la gorge enserrée du prisonnier.

Il toussa deux-trois fois, avant de glisser, bec serré :
« Tu ne me fais pas peur. C'est le Thul'Odin qui t'a envoyé l'explorer, cette galaxie, hein ? Alors pourquoi il refuse la technologie ? Pourquoi il refuse de progresser avec la communauté Galactique ? Bande d'arriérés, vous méritez tous de crever. »
« Voilà qui est plutôt révélateur sur le pourquoi du comment. Le Thul'Odin n'a rien refusé, bien au contraire. C'est plus facile pour le Thul'baal de faire pression pour l’inexistence de Zephyr quand il a l'ambassadrice sous son aile. Ah, au fait, en parlant de Thul'Odin. Il viendra te voir personnellement demain matin, alors essaie d'être présentable. »

Ythaq se releva, l'observant quelques instants. Puis il se déplaça vers le bac en oseille. Puis il se mit a fouiller. Virn semblait alors bien silencieux, comme stupéfait. Ou terrifié, il ne sut pas vraiment.
« Nous autres éclaireurs avons compris ce qu'Aviana projette de faire. Vous n'arriverez ni a cacher ni a justifier le génocide d'un peuple. »

« Tu parles. Vous n'êtes qu'une douzaine. J'ai toute une nation et une armée derrière moi. Le Conseil en prime. », disait-il pendant qu'Ythaq fouillait.
« Tu m'as l'air bien trop prétentieux, dis moi. », intervint le poulet guerrier alors qu'il examinait une sorte de plaquette gravée avec un sigle dessus. « J'ose espérer que le Thul'Odin te graciera. Comme ça je pourrais te tuer moi-même. »

Il rangea la plaquette dans un compartiment de son carquois high-tech, puis il tourna les talons pour quitter la pièce.

Septembre 2198
Turvess
Nation Zephyr
Zephyr


La nuit était tombé sur Zephyr et cette partie de la planète Raloise. Le calme s'était installé dans les rues et ruelles de la grande cité traditionnelle. Ythaq, lui, était a la belle étoile sur une des grosses branches d'un des gigantesques arbres creusés et aménagés pour y recevoir des habitations. Le temps clément ainsi que la fin de l'été persistant permettait qu'il réside là voir même dorme là sans être mordu ni par le frisson ni par de regrettables intempéries.

Allongé sur cette épaisse branche, il faisait tourner entre ses trois griffes cette étrange plaque, recueillie quelques heures plus tôt par l'éclaireur-guerrier dans les affaires de l'espion Avian intercepté la veille par les Gardiens du Sanctuaire. Le sigle était assez particulier, même s'il ne disait rien a Ythaq. Il représentait un soleil croisé par deux lames en son centre, ou des dagues, il ne saurait le confirmer. Le soleil avait des teintes violacées, et les lames, dorées. Il n'avait jamais vu ce logo auparavant. Il partirait a l'enquête plus tard. Pour l'heure, il lui faudrait dormir.

Demain est un autre jour. En premier lieu, il devrait tout faire pour être présent au moment où le Thul'Odin lui même serait présent - si ça venue est confirmée - pour aller parler avec l'Avian. Aucun détail ne devait lui échapper. Car cette plaque dont l'utilité - autant que le sigle - lui était inconnue, et il devrait faire la lumière dessus. Des dizaines d'hypothèses traversèrent l'esprit du Raloi. Le service d'espionnage du Vol Raloi ? Des séparatistes ? Des terroristes ? Des Zephyrons corrompus ? Ythaq fit le vide dans sa tête. Il méritait bien un peu de repos.

Demain est un autre jour.

L'aube était déjà bien entamé quand Ythaq fut réveillé par un brouhaha en contrebas. Une sorte de cortège de Ralois en armure et armés jusqu'aux dents semblait traverser la ville. Tout était finalement confirmé ? Le Thul'Odin en personne ? Ythaq sortit de sa brume du réveil en se tapotant les joues pour réveiller ses sens, puis se relever sur la branche. Il déploya ses ailes puis plana pour rejoindre une autre branche, plus près du sol.

Pendant le vol, qui dura une vingtaine de secondes le temps d'exécuter un cercle descendant, il put d'ailleurs admirer le soleil levant derrière la chaîne de montagne qui éclairait le Premier Sanctuaire, puis Zephyr. Il remarqua ainsi que la ville était assez animée ce matin, notamment les quartiers proches du "cortège" du guide spirituel.

C'est quand il atterrit sur une sorte de petite plateforme en bois taillée qu'il put alors avoir une meilleure vision sur ce qu'il se passait en contrebas. Il sauta ensuite pour descendre d'endroit en endroit pour finalement arriver au niveau du sol. Ythaq reprenait plaisir a user de ses ailes ou simplement avoir la joie de pouvoir naviguer d'arbre en arbre, chose que les stations spatiales et les grandes villes conciliennes ne permettaient pas ou très peu. Les rares fois où il les déployait en dehors de Turvess, les regards avaient tendance a rapidement se fixer sur le Raloi volant.

Quand il atteignit la surface du sol, il observa le cortège se diriger vers la forteresse des Gardiens dans ce quartier de la ville. Le Thul'Odin se trouvait dans une sorte de grand calèche en bois allié à des matériaux bien plus résistants en cas d'attaque au sol ou aérienne. Le Thul'Odin était en grande tenue traditionnelle et de temps en temps saluait les Ralois qui passaient près du cortège. Ils ne tardèrent pas a accélérer le pas en direction de la forteresse, qui gardait prisonnier le futur interlocuteur du guide spirituel.

Vive le Thul'Odin !
Mort aux dénaturés !
Bhal'trem asha l'feera !

De temps à autre, des cris s'élevaient de la foule pour la galvaniser ou bien saluer le Thul'Odin. Ythaq se fraya un passage dans la foule puis s'en écarta rapidement pour rejoindre la forteresse avant le cortège. Le but restait tout de même de participer a l'entrevue, d'une façon ou d'une autre. Une idée germait dans l'esprit de l'éclaireur-guerrier pendant ce temps. Il allait tenter de faire jouer ce titre afin de lui permettre d'y participer. D'un autre côté, étant donné qu'il s'agissait du Thul'Odin lui-même qui avait choisi les éclaireurs-guerriers, Ythaq aurait peut-être la chance d'être immédiatement reconnu par le chef des éléments.

Il dépassa le cortège et prit un raccourci afin de l'attendre à l'endroit prévu.

Le Thul'Odin sortit du "calèche", entouré de plusieurs Gardiens, vêtus d'attributs rouge sang et or, caractéristique spéciale des Gardes spéciaux du Thul'Odin. Ce dernier émergea du petit groupe en direction de la forteresse, devant laquelle se postait Ythaq, vêtu des attributs traditionnelles des éclaireurs-guerriers. Ceux-ci ont été créé dès la fin de la grande guerre, afin de pouvoir explorer la galaxie pour le compte du Thul'Odin. Ils ont donc hérité de peu de traditions étant donné leur existence très nouvelle. Ce qui implique que leur existence est peu connue, surtout du fait qu'ils soient affranchis de bien de contraintes en Zephyr.

Quand le Thul'Odin s'approcha de l'entrée, remarquant Ythaq a côté de celle-ci. Il s'arrêta un instant, étudiant du regard le Raloi, qui claqua son poing droit fermé contre son buste côté cœur en courbant un peu la tête.

« Valafaï oy Thul'Odin. »
« Ythaq'Fi Hyasin. N'êtes-vous pas en mission ? »
« Si, Thul'Odin. Une requête de la Jho'baal sur la Citadelle sur une affaire interne. »

Son interlocuteur prestigieux fronça les arcades sourcilières. Il fit un geste du bras à Ythaq.
« Suivez-moi, éclaireur-guerrier. Ne parlons pas ici. »

L'intéressé baissa un peu la tête et, après que le Thul'Odin ait emboité le pas, le suivi, lui-même suivi par les quatre Gardiens attitrés au guide spirituel. Ils déambulèrent dans la forteresse, un Gardien les guidant jusqu'à la cellule du prisonnier. Sur le chemin, le Thul'Odin s'adressa a Ythaq'Fi :
« Que vous a dit la Jho'Baal ? »
« Cela fait déjà quelques temps que je suis revenu sur Turvess, a l'époque, elle ne m'avait rendu compte que de remous internes suspects a Aviana qui pourraient porter atteindre a Zephyr. Jusqu'aux attentats. J'ai décidé d'enquêter par la suite, sans succès jusqu'à ce que ce prisonnier soit capturé vivant et disposant éventuellement d'informations. »

Il s'arrêta. Le Thul'Odin vérifia qu'il n'y ait personne autour alors que les Gardes rouges se tournèrent pour surveiller la zone. Le guide plongea son regard sans celui d'Ythaq.
« Les Gardiens ont-ils pu lui tirer des informations ? »
« Je l'ignore. J'ai pu avoir un contact avec lui, mais je n'ai rien tiré de concluant... »

Pendant un quart de seconde, il hésita a se retenir de lui montrer la plaquette du prisonnier Avian. Ces temps troubles l'incitait a ne faire confiance à personne. Mais quand bien même, il s'agissait du Thul'Odin, et il avait tout intérêt a ce que tout s'arrête pour Zephyr et pour sa propre vie. Il s'autorisa donc à lui montrer l'étrange sigle. « ... mis à part ceci. », termina-t-il en montrant ladite plaquette.

Il prit la plaquette entre ses griffes acérées et l'inspecta brièvement dans toutes ses coutures. Il demeura impassible.
« Ce sigle m'est inconnu, je regrette. », dit-il en haussant les épaules et en rendant l'objet à Ythaq. « Tâchons d'en savoir plus. », lâcha-t-il en reprenant sa marche vers la cellule.

Ils arrivèrent donc a la cellule. Il congédia les gardes qui se placèrent devant la cellule, invitant uniquement Ythaq a se placer près de la porte afin d'entendre ce qu'il s'y passe et a intervenir en cas de soucis. Tuyir'Tha, le Thul'Odin, entra donc. L'Avian était toujours enchaîné, mais avait meilleure mine avec les quelques heures de sommeil et le repas qu'il avait prit. Ce dernier leva la tête, regardant le guide avec un certain mépris, mais tout de même impressionné.

« Bonjour, Virn. Je suis le Thul'Odin Tuyir'Tha Namir. »
« Mes respects. Je claquerais bien le poing comme vos fidèles, mais je suis quelque peu enchaîné. »
« Comprenez le zèle des Zephyr'quns, depuis les attentats et la peur que vous distillez parmi nos rangs... »
« La peur que vous distillez. A vous réduire a vos sacro-saintes traditions et façons de vivre, vous vous isolez du monde et de la galaxie. Vous vous flétrirez comme une fleur qui par manque de ressources, se fane. La Galaxie a tant a vous offrir, mais vous la refusez. »

Le Thul'Odin esquissa une sorte de sourire qui fait frémir le prisonnier. Virn demeura silencieux alors qu'il prenait la parole.
« Le Thul'baal se fiche bien de nous. Il tente de nous isoler de la Galaxie car il a peur de nous. Et pourtant, c'est lui qui dispose du Vol Raloi et de la technologie conciliaire. Ne niez pas qu'il ne s'embêterait pas a nous espionner ni a faire blocus si nous ne représenterions pas un danger pour lui. »
« Vos fanatiques habitants sont dangereux pour Aviana et la prospérité des Ralois. Vous menacez notre civilisation par vos pensées arriérées. Pourquoi refuser ce qui nous élèverait au delà de nos propres limites ? »

Un rire s'échappa de la gorge et du bec du guide spirituel.
« Quel droit vous permet de décider ce qui est le mieux pour nous ? De nous retirer notre libre arbitre par notre mort ? Vous qui vous considérez comme les envoyés de l'avenir, il est bien sombre pour nous - sur votre volonté. »
« Vous ne savez rien de notre volonté, de nos moyens, de notre façon de faire. La preuve est que vous venez ici même m'extorquer des informations. Vous n'arrivez même pas a identifier votre ennemi car vous en êtes incapable. Vous êtes incapable de vous défendre ni de nous attaquer. »
« Vous en révélez bien plus malgré vous que vous ne le croyez. Vous serez gracié car il n'y a pas que la guerre. Celle vous vous évertuez a préparer pour qu'elle soit rapide, mortelle et efficace. »
« Ne soyez donc pas naïf derrière votre titre et vos gardes. Vous n'êtes ni invincible, ni omnipotent. »
« Notre puissance dépasse le physique. Vous vous en rendrez vite compte, Virn. Nous nous reverrons bientôt, j'en suis certain. Sur ce, je vous souhaite un bon retour parmi vos amis. »
« C'est cela. Préparez votre tombe, Thul'Odin, et devenez aussi immortel que vous pensez l'être. »

Il tourna les talons et abandonna Virn a deux Gardiens locaux qui déchaînèrent Virn et l'empoignèrent solidement pour le sortir de la forteresse. Tuyir'Tha Namir rejoignit Ythaq dans un des cloîtres de la forteresse, à l'abri des vues et des oreilles. Il fit face à l'éclaireur-guerrier.
« J'imagine que vous vous doutez que nous traversons une époque difficile qui mènera probablement à la guerre. La solution se trouve au dessus de nos têtes. C'est là votre but, à vous éclaireurs. La Jho'baal est indépendante en théorie mais, de façon compréhensible, se rangera auprès des plus puissants. La balance ne penche pas de notre côté, car les Avians mettent beaucoup de force a nous détruire de l'intérieur. »

Ythaq ne comprit pas vraiment ce qu'il voulut dire, jusqu'à ce que le Thul'Odin jeta un regard aux alentours avant d'avouer a Ythaq.
« Regardez Zephyr. Une population au train de vie régit par le Sanctuaire, encadrée par des Gardiens puissants et aux moyens conséquents. Ça tient en un équilibre basé sur la confiance. C'est comme la gravité, il ne suffit que d'une poussée pour que le château de cartes s’effondre... »

Hyasin mit quelques secondes a réaliser ce que le Thul'Odin voulait implicitement dire. La situation était en effet bien plus critique qu'il ne le pensait. On ne pouvait rester autant dans l'indifférence et l'impuissance. Il fallait agir. Ythaq fut vraiment étonné de seulement imaginer un scénario de Gardiens corrompus. C'est alors que le Thul'Odin lui glissa :
« Je me charge depuis certains temps de rassembler un réseau d'hommes de confiance. Mais votre mission n'est pas ici, Ythaq'Fi. Elle est à la Citadelle, et dans la Galaxie. Il vous faut partir avant qu'Aviana ne vous cible. Méfiez-vous des éclaireurs venus aussi de chez eux. Certains ont la clairvoyance de la situation, mais il faut être prudent. Très prudent. Il faut que vous partiez dès aujourd'hui. Le Spatioport d'Idael est sous contrôle d'Aviana, mais vous saurez agir au mieux. »
« Thul'Odin, permettez moi de demander, pourquoi avoir libéré Virn ? »
« Il dispose d'informations nécessaire a la suite des évènements. Il voulait être capturé. Il a un rôle important dans cette guerre. »

Après cette phrase qui mériterait d'être méditée et réfléchie par l'éclaireur-guerrier, Ythaq claqua son poing contre son buste, et fit volte face pour sortir de la forteresse. Le Thul'Odin l'exigeait en dehors de Turvess ? Ythaq se sentit rejeté, car il savait que la guerre se préparait ici bas. Il obéirait aux ordres. Comme toujours. Il se dirigea vers sa petite planque en centre-ville, et déciderait ensuite de partir pour Aviana et le spatioport d'Idael, lieu de départ pour la Galaxie.

Le voile qui planait sur le Thul'Odin s'assombrissait de jour en jour...

Après avoir quitté la forteresse, Ythaq s'était dirigé vers sa petite "planque", une sorte de petite hutte construite dans une des épaisses branches principales d'un de ces gros arbres qui faisaient la singularité de la cité de Zephyr comparé à la très urbaine Aviana. Il y avait de quoi y loger pendant quelques temps, surtout pendant la période printemps-été : un couchage, deux-trois meubles et des rangements de fortune. Ythaq avait réussi a y ramener un petit terminal extranet avec lequel il pouvait, en utilisant un des relais Extranet d'Aviana, prendre contact avec la galaxie.

Quand il y pénétra, après l'avoir quitté plus tôt, le soleil se rapprochait de son zénith. La matinée semblait avoir défilée comme une flèche, et le temps continuait de couler. Il ne fallait pas perdre de temps. Il fouilla les quelques meubles et rangements afin d'y récupérer le matériel et les vivres dont il avait besoin pour la suite des évènements. Il devrait comme première étape rejoindre Aviana, qui se trouvait dans l'autre vallée, ce qui mettrait donc un certain temps, puis, si possible, tenter d'enquêter sur la fameuse plaquette récupérée auprès de Virn.

Car Ythaq ne comptait pas abandonner la piste comme ça. Peut-être même comptait-il suivre Virn jusqu'à son retour à Aviana - s'il s'y rendait - pour le retrouver et l'égorger afin de recevoir le traitement d'animal qu'il méritait. D'un autre côté, l'Avian lui paraissait trop louche. Quelque chose clochait. L'éclaireur-guerrier pourrait tout aussi bien se faire des idées, mais, il n'avait pas de réel emploi du temps à respecter et tant que la Jho'baal ne le rappelait pas, il pourrait rester vadrouiller a Aviana sans trop d'encombre.

Après l'étape de l'enquête bien avancée, il pourrait ensuite se rendre au spatioport d'Idael, à la périphérie de la ville, afin de s'envoler pour la Citadelle. Le plan s'étalerait sûrement sur une quinzaine de jours.

L'histoire lui montrera qu'il se trompait largement.

Il tassa le tout dans un barda qu'il positionna sur ses épaules après avoir placé ses bras dans les anses du sac. Il sortit de la hutte, et déploya ses ailes pour planer au dessus de la ville. Il traversa ainsi de nombreux quartiers en les survolant à plus de cent mètres au dessus, esquivant les grands arbres qui perçaient la cîme des habitations mi-forestières mi-construites. Le vol plané, qui prit quand même plus ou moins cinq minutes, rendit sa bonne humeur au Raloi. Rares étaient ces moments depuis qu'il avait, pour la première fois, quitté la planète.

Il en ressentirait presque de la jalousie pour ceux qui s'étaient très longtemps exercé afin de pouvoir voler avec. Il se faisaient hélas de plus en plus rare. Il se posa près d'une place, plus grande cette fois-ci, proche d'une des principales entrées dans la cité de Zephyr. Après avoir réajusté son barda, il se mit en marche afin de sortir de la ville et se diriger vers Aviana. Étrangement, il n'avait très hâte d'arriver là-bas.

Pourtant, c'est là que tout se déroulerait.

A chaque fois qu'Ythaq quittait Zéphyr ou ses territoires de manière générale, il devait se faire force mentale pour se convaincre du bien fondé de ses actions et surtout de sa nécessité. Il ne s'agissait là ni d'un confort vis à vis de ses frères ni du sentiment de retour au foyer : il s'était affranchi de tout cela en devenant un éclaireur-guerrier. Bien sûr, à chaque fois qu'il revenait à Sethir, dans le village de son clan, il semblait avoir rajeuni d'une dizaine d'année en arrière pour retrouver cette part d'innocence perdue dans les étoiles de la Galaxie. Repartir à Aviana lui faisait retourner à la dure réalité.

Le peuple Raloi courait un terrible danger, danger qu'il s'est lui-même créé. Il devrait être donc être lutté depuis l'intérieur. La race aviaire est habituellement assez autonome dans ses actions et son fonctionnement. Si la guerre entre Aviana et Zéphyr devait éclater, la solution ne viendrait pas du Conseil Galactique ni de ses envoyés. Il s'agirait alors d'une solution précaire, inopportune et inadaptée.

Pour cela, il fallait identifier l'ennemi, le danger et le neutraliser.
Plus facile à dire qu'à faire. Il serait temps de me mettre en route.

Ythaq'Fi n'avait pas eu le temps de repérer Virn à la sortie de la forteresse ni de Zéphyr. Il était probable qu'il fut raccompagné par les Gardiens aux portes de la cité. Peut-être croiserait-il son chemin lors de la route pour Aviana. La capitale Turvessi était située dans l'autre vallée, recouvrant une partie d'un flanc de la chaîne de montagne proche. Elle s'étendait sur des lieux, depuis leur rattachement à la civilisation galactique, grâce aux techniques urbaines d'infrastructure importées de la Citadelle. Ythaq était rarement allé en plein centre ville, mais, à part le style d'architecture propre aux Ralois, l'agencement de la mégapole était sensiblement proche d'un centre urbain Terrien, Palaveni, ou Thessian.

Depuis qu'il s'était accoutumé à ce genre d'organisation urbaine grâce à ses voyages interstellaires, il pourrait appréhender Aviana de la meilleure façon qui soit. Il avait donc adapté ses styles de combat, ses mouvements, ses façons de progresser dans les villes désormais faites de matériaux durs, denses et lisses au lieu des surfaces rugueuses, mousseuses, instables et variées qu'offraient les forêts ou jungles. Ses ailes vestigiales lui offraient un atout non négligeable, qu'il faudrait relativiser en milieu Raloi. Son plus grand défi sera cependant de trouver une parade aux armes à faisceaux ou à feu. Elles transperceraient sans problème les carapaces naturelles des oiseaux humanoïdes.
La nuit, j'ai entendu certains humains m'appeler « batman ». Je me demande bien à quoi ils faisaient référence. A quelque chose de bien, j'espère.

Rien qu'à l'idée d'y penser, Ythaq'Fi Hyasin était déterminé. Cela faisait déjà une bonne heure qu'il avait emprunté une sorte de speed jet, propulsé par des moteurs anti-G. La plupart de ces véhicules étaient interdis d'accès a Zéphyr, et étaient donc parqués à l'extérieur, accessibles à ceux qui désiraient rejoindre la capitale. Autrement, le trajet a pied pouvait durer plus de 48h. A dos d'un animal sauvage des contrées Zéphyrons appelé Lyre, le voyage était déjà réduit à l'espace d'une journée. Les guerriers de la caste du feu disposaient d'un groupe monté à Lyres, c'était un groupe destiné purement au combat ou a la reconnaissance et n'ayant aucune autre utilité. Y avoir appartenu est donc encore plus honorable et reconnu, car n'existant pas en temps de paix.

Zéphyr et Aviana n'étaient pas les seuls centres civilisés et/ou urbanisés. De nombreuses autres villes de tailles variées jonchaient les territoires des deux mégapoles. Malheureusement pour Ythaq, Sethir se trouvait à l'exact opposé de sa route. Il fallait traverser la mégapole et partir dans le sens inverse pour, quelques dizaines de kilomètres plus loin, arriver à la ville natale d'Ythaq. Entre Zéphyr et Aviana se trouvaient deux principales villes, et de nombreux hameaux ou arbres-maisons. Les arbres-maisons étaient le plus souvent d'anciennes caches ou forts des anciennes guerres saintes réhabilités par les habitants des deux nations.

Il est inutile de préciser que la route reliant les deux nations portaient, de façon physique ou psychologique ou encore de mœurs, les stigmates des anciennes guerres puis des tensions actuelles. La première étape d'Ythaq s'arrêtait à la ville d'Aquilons, formant le barrage au col de la vallée. Le nom de la ville en lui-même était porteur de souvenirs. En effet, la ville était anciennement un hameau d'arbres-maisons portant le nom de la ville actuelle, nom qui, dérivé dans l'ancienne langue, signifierait : « mauvaise augure ». Car il était de coutume pour Zéphyr de savoir reconnaître la fumée qui s'élevait d'Aquilons quand l'armée Aviane arrivait sur la mégapole, afin de se préparer au pire.

Quand il arriva à cette étape, il fut arrêté par un Gardien, reconnaissable a ses attributs particuliers. Il était assit sur une petite pile de caisses de tailles diverses. Ythaq'Fi ralentit le jet speed et puis fit du sur place avec la machine, se mettant au niveau du Gardien.
Celui-ci regardait fixement le nouvel arrivé.

« Que fais-tu, éclaireur-guerrier ? », avait-il lancé d'un ton proche du dédain.
« Je suis en mission pour Aviana. », répondit Ythaq naturellement, neutre.
« Je regrette, mais ta route s'achève ici. La Voie Sacrée est en quarantaine. Des Avians ont été repéré dans le secteur, et pour la sécurité de la zone, personne ne passe. »

En voilà une chose bien curieuse. C'est ce qui étonnait toujours Ythaq : malgré qu'il n'y ait aucun statut officiel de temps de guerre, ou de véritable guérilla entre les deux nations, les Gardiens se considéraient toujours en guerre contre les étrangers. Le statut d'éclaireur-guerrier d'Ythaq le faisait peut-être petit à petit passer du mauvais côté de la barrière du point de vue des protecteurs du royaume.
« Pour combien de temps ? »
« Jusqu'à nouvel ordre. Mon ordre, en fait. »
« Je suis un éclaireur-guerrier. Faites-moi passer. »
« Oui. Mais non. Même si t'étais une Lyre bi-cornée qui chie des arcs-en-ciels, je m'en fiche. Non. »
« Je ne transporte rien d'autre que mon corps. Je peux leur échapper avec le jet speed. Soyez pas idiots. Laissez moi passer. »
« Écoute. T'as beau avoir été choisi par le Thul'Odin, ça ne fait pas de toi un saint. Si on te dit que tu ne passes pas, tu ne passes pas. Ou alors, tu fais le tour du col. »

L'idée lui était effectivement passée par la tête. Mais cela serait une trop grosse perte de temps, cela rallongeait le voyage d'au moins une semaine, les passages étant impraticables en jet speed. Du temps gâché et gagné par ses ennemis. Il essayait de réfléchir en même temps afin de se faire une hypothèse plus logique sur cette « quarantaine ».
« C'est le prisonnier gracié, n'est-ce pas ? »

Il fronça les sourcils. Même si ce n'était pas cela en réalité, ça a eu l'effet escompté.
« Depuis qu'ils l'ont capturé au Sanctuaire, nos aiglons nous rapportent des mouvements quotidiens isolés dans la zone. Nous essayons depuis hier de les repousser en dehors des périmètres de sécurité autour d'Aquilons. Étant donné que c'est le seul passage aisément praticable de la zone, il devient donc stratégique. »

Il suffisait de disposer de la bonne clef pour déverrouiller les bonnes serrures. Cela ne le faisait pas passer, néanmoins il disposait d'informations afin de pouvoir éventuellement aider à ce problème-là. Cela faisait aussi partie de ses prérogatives. Cela ne le rassura pas vraiment d'être bloqué aussitôt dans son périple jusqu'à Aviana, si les escarmouches commençaient a se multiplier et à s'intensifier, la machine de guerre ne pourrait plus être stoppée.

Il ne voulait pas être celui ou faire partie du schmilblik responsable du début de la guerre.
« Il suffisait de le dire plus tôt. Je ne sais pas où a été relâché Virn, mais tôt ou tard, il passera à Aquilons. Je ne l'ai pas vu sur le chemin. », lança-t-il, plus accommodant.

Le Gardien joua le jeu. Enfin. Ythaq le croyait.
« En fait, nous, on l'a vu. Il est dans nos geôles. », plaisantait-il à moitié.
« Vraiment ? Ni l'un ni l'autre n'a chômé. Vous savez quand même qu'il a été gracié ? »
« Il a tenté de forcer la quarantaine. », répondit-il, d'évidence.
Ha. Évidemment...

« Au début, on a pas vraiment fait de distinction, puisqu'il n'a même pas été reconnu ni n'a même décliné son identité quand mes gars l'ont attrapé. »
Les Gardiens étaient certes reconnus pour leur loyauté vis à vis du royaume, et leur sagacité vis à vis du peuple Zéphyron, mais certains souffraient d'une réputation dû aux capacités intellectuelles amoindries par les entraînements trop percutants qu'ils subissaient. Néanmoins, ils faisaient très bien leur travail. Heureusement qu'Ythaq était là pour réfléchir.
La situation tombait bien, tout de même. Ythaq avait un compte à régler avec Virn. Ils ne le laisseraient pas le voir, ni le tuer c'est clair. Un plan s'échafauda dans la tête de l'aigle guerrier.

Virn allait encore avoir son utilité.

Ythaq avait donc rebroussé chemin dans la ville d'Aquilons, la ville-frontière entre les deux vallées accueillant chacune Zéphyr et Aviana. L'endroit avait probablement bien évolué et grandi depuis les rangées d'arbres-maisons qui faisaient office de douane. Il se dirigea vers ce qui ressemblait plus ou moins à un bar – en bien moins glauque que ce qu'il avait pu voir, notamment dans les Terminus, portant le même nom –, afin de s'y reposer un peu avant d'aller aux retrouvailles avec Virn, l'Avian prisonnier, gracié par le Thul'Odin, puis de nouveau capturé par les Gardiens à Aquilons à cause de la quarantaine sécuritaire temporaire.

Il s'approcha de ce comptoir central autour duquel un Raloi préparaient mixtures pour les servir auprès des voyageurs et autres habitants du coin. Les gens affluaient à cause de la quarantaine, et les habitants, habitué au beau monde, désertaient progressivement les lieux aux heures de grandes affluences afin d'éviter de tomber dans de mauvaises situations.
« Un bock, s'il vous plaît. », demanda Ythaq qui s'était approché du « barman ».
« Un éclaireur-guerrier ? On en voit pas des masses par ici. Je vous sers ça de suite. », dit-il en se retournant vers les différents conteneurs, remplissant donc un bock d'un breuvage qui pourrait être comparé à de la bière. « Une mission en branle ? »

Ythaq'Fi était à la fois étonné et satisfait qu'on le reconnaisse avec son statut actuel. C'était ce qui lui plaisait dans cet honneur : malgré le fait que ce soit un grade à la création récente, bien qu'inspirée d'anciens statuts particuliers, les gens y conféraient le respect qui lui était dû. Les attributs de ce petit groupe étaient imités d'un ancien groupe diplomatique ayant aidé à mettre fin à la 2è guerre sainte. Le groupe en question avait été dissout pour raisons politiques, ironiquement. Hyasin trouvait l'image assez appropriée, bien que travestie par la particule « guerrier ». Autre temps autres mœurs, certainement.
« Cela fait déjà quelques mois que je suis dans les parages, pour comprendre les tensions actuelles et contribuer à y remédier a mon niveau. », répondit Ythaq, enserrant le bock de sa patte à trois griffes. « Je dois vous avouer que pour l'instant, je n'ai guère progressé. Jusqu'à aujourd'hui. »

Le voyageur fit glisser une gorgée du liquide alcoolisé dans son bec, qui coula ensuite dans sa gorge. Cela lui rafraîchit le gosier. La fraîcheur du breuvage le revigora quelque peu en ces jours encore chauds. Il leva ensuite la tête vers le barman, qui était intervenu :
« C'est cette quarantaine ? Honnêtement, et je travaille ici depuis longtemps, les Avians n'ont jamais tenté quoi que ce soit. Des espions, planqués dans les hautes branches, ça, sûrement, mais attaquer ou menacer les convois de pèlerins ou voyageurs ? Jamais. »
« Les Gardiens verrouillent régulièrement la zone ? »
« Parfois. Pas si régulièrement que vous le sous-entendez, en tout cas. »

Une nouvelle gorgée pour Ythaq. Soit les Avians avaient passé la vitesse supérieure, soit les Gardiens faisaient trop d'excès de zèle. L'un comme l'autre, c'était louche.
« Et les Gardiens sortent-ils de la ville ? Faire des reconnaissances, des enquêtes, faire de la contre-attaque envers les supposées menaces ? »
« Pas que je sache, éclaireur-guerrier. Ce qu'on voit, nous, c'est qu'ils gardent en continu la grande porte du col. A côté de ça, s'ils envoient des gens... j'en sais trop rien. »

Le guerrier de la caste du Feu termina son bock, et le reposa sur la table allongée qui entourait le comptoir de bouteilles et mixtures. Il posa quelques piécettes à côté du bock, remercia le barman puis sortit. Ythaq en fut presque perturbé, pas d'espions, pas de rixe dans un coin du bar, pas de personne louche, ni de trafic... Ni même personne pour lui barrer la route jusqu'à la sortie.

Vraiment. Par certains côtés, Turvess et Zéphyr lui manquaient terriblement.

Il s'avança dans la ville, rencontrant de nombreux pèlerins installés dans les bords des chemins et des arbres ou habitations. Certains passaient le temps de diverses manières, jouant à certains jeux d'origine raloise, de société ou autres. D'autres encore s'étaient assoupis sur leurs caravanes ou véhicules antigrav venant d'Aviana. Cela lui rappela quelque peu l'atmosphère d'une station ou d'une ville de réfugiés.
Le cheminement fut rapide, mais voir ne serait-ce que ces signes avant-coureurs d'un conflit ne le rassurait pas. Les images empireraient alors jusqu'à devenir insoutenables une fois que les réfugiés afflueront en masse, que des colonnes de fumées décoreront les horizons, que des bruits de divers types d'armes, mêlés aux cris de guerres et râles de douleurs, ne viennent aggraver encore plus son imaginaire. Une vision du futur, une prédiction de son imaginaire.

Cela faisait environ 1200 années que les Ralois n'avaient pas subi de guerre totale, fratricide, sainte et absolue. Des conflits très mineurs et isolés avaient germé au fil de leur histoire depuis, pour être rapidement éteins par assimilation ou annihilation. Cela restait tout de même rare.

Ythaq arriva, alors qu'il déambulait dans la ville, jusqu'à un arbre-maison amélioré, renforcé et structuré jusqu'aux racines. Le sigle des Gardiens était gravé et stylisé à la main sur l'écorce même de l'arbre, alors poli pour mettre en valeur le symbole en relief. Derrière ce chef d’œuvre architectural Raloi se trouvait Virn. A côté de l'arbre-maison, un bâtiment plus « moderne » avait été construit pour d'autres usages. Le tout était disposé non loin de la grande porte qui permettait l'accès à la vallée Urlith, là où se trouvait Aviana, visible depuis chaque coin de ladite vallée.

Il rentra dans l'un des nombreux accès du gigantesque arbre-maison. A cause de la structure initiale centrale de l'arbre variant d'un arbre à un autre, chaque petite forteresse creusée à l'intérieur était conçue différemment. Elles faisaient la fierté des bâtisseurs Ralois, alors rassemblés dans la caste du Feu. C'étaient les gardes-forestiers de la caste de l'Eau qui avaient la lourde tâche de sélectionner les gigantesques arbres qui accueilleraient les structures imposantes. Les structures, en plus d'embellir ces œuvres de la nature, fournissaient un foyer ou un abri aux Ralois.
Il devrait par conséquent trouver son chemin à tatillon dans ce qui se révèle être un des principaux postes d'organisation des Gardiens sur Aquilons.

Probablement à cause de la quarantaine et de la profusion de pèlerins et voyageur bloqués sur zone, les Gardiens devaient probablement être de faction dans la ville, à la traque des Avians, ou bien en train de faire du filtrage de part et d'autre des accès de la cité. Une chance pour Ythaq'Fi, qui pourrait peut-être s'éviter des soucis pour accéder directement à Virn.
De façon naturelle, il serait allé chercher du côté d'un éventuel sous-sol. Jusqu'à ce qu'il se rappelle que les Arbres-maisons n'avaient pas de sous-sol, s'ils en creusaient un, ils arracheraient les fondations même de l'habitat, à savoir les puissantes racines qui maintenaient le tronc.

Il décida donc de monter directement afin de visiter les différents espaces présents. Il arriva donc par pur hasard dans une pièce qui ressemblait à une cellule. Elle n'était bien évidemment pas vide. Le mystérieux Avian, Virn, se trouvait dedans. Ythaq pénétra dans la pièce en refermant la porte derrière lui.
Il était temps de mettre au point certaines choses.

« C'est une blague. Vous vous foutez de moi, vous autres Zéphyrons. La grâce accordée n'a-t-elle donc aucune valeur chez vous ? »
« Ne me parle pas de valeurs ni d'honneur. Je t'ai promis une chose, Virn. Rappelle-toi bien. », commença Ythaq en sortant une dague effilée d'un petit fourreau caché dans les plis qui formaient la fin de ses plaques osseuses de flanc.

Virn sembla d'un coup prendre peur, alors que le guerrier s'avançait pour ouvrir la cellule et l'attraper.
« C'est quoi ton problème ? Je t'ai fait quoi ? Mais. Arrête ! Qu'est-ce que tu veux ! »

Ythaq'Fi s'arrêta net alors qu'il allait ouvrir la cellule. Il pencha la tête légèrement sur le côté alors qu'il lui disait. « Haaa. Il me semblait qu'on ne connaissait pas la peur ? Je suis un Raloi de promesse. Je te jetterais au Bourbier moi-même, pour que tu connaisses l'espoir, cet espoir qui rongé par la peur de mourir se transforme en désespoir pour finalement assassiner ton esprit avant même ton corps. »

Étrangement, Virn était silencieux. Il soutenait le regard d'Ythaq. L'éclaireur ne lisait ni peur, ni détermination, ni espièglerie ou autre sentiment de culpabilité. Il s'agissait là simplement d'un défi.
« Je veux que tu me dises ce que c'est que ça. », ordonna-t-il en dégainant la fameuse plaquette gravée.
« Ça ne t'avancera à rien. C'est une plaque d'immatriculation du service de renseignement du Vol. Pour qu'elle fonctionne, il faut qu'elle soit portée par celui avec lequel elle a été programmée. »

Cela paraissait plausible. Quoi qu'il en fût, Ythaq n'avait aucune manière de le confirmer ni de l'infirmer. Il retrouverait leur trace à Aviana, ça ferait un début de piste pour son enquête. Il rangea donc la plaque dans les rangements adéquats, puis continua :
« Je n'ai d'autre choix que de donner crédit à ta parole. Soit. Et cette histoire d'Avians et de quarantaine, là. Dis m'en plus. », ordonna-t-il en croisant les bras plumés.

Cela semblait apparemment bien irriter Virn. « Sûrement un test des défenses. Vos Gardiens sont trop prévisibles, bien que robustes et équipés. » Ythaq choppa Virn par la plaque de son buste et le ramenant brutalement contre les épaisses barres d’alliages qui formaient la cellule, lui arrachant un râle de douleur. « Que. Font. Ils. Ici. », dit-il en le relâchant.

« Renseignement, harcèlement, observation. Ils n'attaqueront pas. En revanche, ils ont peut-être reçu l'ordre d'attaquer pour m'extrader. Ils auraient raison, d'un autre côté. Vous n'avez p... »
« ... vez pas le droit d'être ici ! », clama une voix derrière Ythaq'Fi.

« ... vez pas le droit d'être ici ! », clama une voix derrière Ythaq'Fi.

Virn semblait, au lieu d'être surpris ou encore étonné de la présence inopiné du Gardien, semblait jubiler. Ythaq allait probablement - de son point de vue - rencontrer des problèmes. Pendant que lui continuerait d'être bien au chaud dans cette cage, au lieu de subir le Bourbier. Ythaq s'était alors retourné, faisant face au même Gardien que plus tôt alors qu'il était rentré dans Aquilons. Le dialogue prendrait une tournure intéressante et l'éclaireur-guerrier savait exactement quoi faire pour se sortir de se pétrin.

« J'aimerais que tu- »
« Il voulait me tuer ! », interrompit-il le nouveau venu.
« Ferme ton bec, toi. Je t'ai pas causé. », répliqua-t-il gravement, décalant sa tête sur le côté afin de pouvoir apercevoir le prisonnier derrière Ythaq.

Alors que Virn se tut, le grand Gardien laissa la porte ouverte et pénétra dans la pièce, il dépassait Ythaq d'une bonne tête. Ses ailes vestigiales semblaient quelque peu déplumées. Sans aucun doute s'agissait-il ici d'un des chefs de la zone. Il ne l'avait pas remarqué dehors, mais il imposait un certain respect par sa carrure. Il croisa les bras, révélant davantage de ses ailes vestigiales sur ses flancs, puis s'adressa a l'éclaireur-guerrier, guère impressionné.
« Je t'avais dit de ne pas aller le voir. »
« On peut faire cesser les attaques. On peut l'utiliser comme appât et on neutralise les insurgés Avians. Ça, c'est la solution musclée. Il y a aussi l'option diplomatique, a savoir on rend simplement notre petit Virn ici présent, en échange de leur départ. Réfléchissez-y, ça vous dédouane de sa responsabilité et ça respecte la volonté de la grâce du Thul'Odin. »

Le Gardien sembla perplexe.
« J'ai déjà envoyé mes gars les chasser. Ça sera l'option musclée. »
« Je ne pense pas que les ambassadeurs seront-. »
« Tu vois des ambassadeurs ici ? On s'en fout. On va les virer des bosquets d'en face. »

Clairement, il n'y avait aucune matière a discuter. Ythaq se dit néanmoins qu'il avait réussi a libérer Virn afin de le renvoyer chez les siens, et de pouvoir le suivre à la trace comme prévu. Il ne savait pas comment allaient réagir les Avians alors que Virn leur serait rendu. Sans doute que les Gardiens, excités et énervés comme des puces à cause des harcèlements sur Aquilons, voudraient d'une belle bataille. Ythaq douta que les Avians soient aussi belliqueux malgré tout.
Leurs ennemis savaient parfaitement jouer a deux vitesses, sur tout les tableaux. Les compétences de leurs espions étaient désormais reconnus et une épine dans les pattes des forces protectrices du Royaume. Le Gardien lâcha un soupir, puis fit un pas de côté pour s'avancer vers Virn, dégainant des menottes adaptées.

Virn eût une étrange réaction.
« Non, non ! Je suis bien ici, au chaud, tranquillement... Vous voulez vraiment me rendre ? comme ça ? sans autre préavis ? Non ? »
« J'ai dit : ferme-la. »

Ythaq'Fi ne fit aucun geste en réaction, mais il trouva cela assez curieux, en effet. Le Gardien lui n'en avait que faire. Il choppa un bras du prisonnier avec vivacité puis un deuxième afin de lui passer lesdites menottes. Depuis les technologies ramenées par la Citadelle, celles-ci étaient capables d'électrocuter a très bas voltage les fuyards menottés. Entre autre, elles empêchaient les Ralois d'utiliser leurs ailes, un atout donc très utile. Le Gardien se plaça derrière le futur appât et le poussa en direction de la sortie. Ythaq'Fi emboita le pas en direction de l'extérieur.

« On va éviter d'attirer l'attention, on va utiliser le passage secondaire. »
Sur le chemin, le Gardien, dont le nom de Qasxi avait été glissé, avait ramené trois autres Gardiens afin de l'aider a escorter le prisonnier jusqu'aux zones de vigilance renforcée. Ythaq'Fi, bien sûr, allait les suivre et participer aux négociations. Il avait du employer le titre pour se faire accepter. Cela demeurait guère plaisant à faire pour l'éclaireur-guerrier, mais tant que cela marchait...

Comme prévu par le Gardien, ils passèrent par un petit passage prévu à la base pour les forces de présence pour contourner les forces adverses par les flanc. Bien évidemment, celui-ci était gardé par une permanence et Virn s'était vu les yeux cachés pour éviter qu'il n'en sache trop sur les défenses d'Aquilons a l'avenir.
Quoi qu'il en serait, de toute façon, Ythaq'Fi s'assurerait que Virn ne soit plus une menace a l'avenir. Il avait une mission, après tout.

Après avoir traversé le passage "secret" excentré, ils pénétrèrent les cîmes des jungles proches. De façon immédiate, et évidente, la zone était bien plus dense en terme de végétation que quelques mètres plus tôt. Plus d'arbres, de lianes, de végétation haute, de grosses racines et autres mousses diverses et variées. La faune était un peu plus présente, bien que moins en abondance dans cette vallée que dans celle de Zéphyr.
Néanmoins la zone était praticable à pied. Il ne fallait pas tailler dans la grosse végétation pour avancer, et de temps à autres, des endroits plus vierges de grosses déclinaisons de la nature pouvaient être rencontré. Ces endroits étaient privilégiés pour tendre une embuscade, aux animaux, comme aux Ralois. La prudence était donc de mise. Ythaq faisait la garde arrière, arc non bandé flèche encochée, un Gardien était en tête, suivi de Virn et Qasxi, puis des deux autres gardiens côte à côte.

Jugeant du bon endroit, Qasxi fit s'arrêter Virn, et les Gardiens inspectèrent les alentours rapidement. La jungle florissante était difficile a sonder correctement, cependant. La zone avait l'air sûre. Ythaq'Fi s'approcha de Virn et se tint prêt en cas de coup dûr. Le prisonnier était loin d'être serein.

« Bhal'trem ! Venez récupérer votre dû ! »

Ythaq'Fi avait un mauvais pressentiment. Quelqu'un allait-il subitement sortir des fourrés pour parlementer ? Allaient-ils attaquer directement ? Virn allait-il se sauver ? N'allait-il tout simplement rien se passer ? Ythaq'Fi banda de deux-trois centimètres l'arc, de façon nerveuse, mais concentré. Qasxi était également aux aguets, son Omnitech brillait parmi les ombres des hautes cimes qui couvraient le groupe. Les arbres étant très haut, ils pouvaient tout aussi bien se trouver dans les branches, planqués...

Soudain, des cris d'oiseaux se firent entendre, et un groupe de volatiles traversèrent la zone. Dès qu'ils furent parti, un râle, de Raloi, cette fois, put être ouï, et, presque instantanément derrière, un sifflement du vent et un bruit étranglé.

Qasxi se retourna : Virn venait de recevoir une flèche dans la gorge, ses pattes menottées maintenant son cou ensanglanté. Il tomba à genoux, continuant ses gagarissement atroces, alors qu'il allait pour s'affaisser sur le sol.
« A couvert !!! »

« A couvert !!! »

Ythaq n'eût seulement le temps de voir Virn Dox s'affaisser sur le sol meuble avant de s'élancer à toutes jambes vers une énorme racine d'un des gigantesques arbres peuplant la région, son arc déjà préparé lui permit de fouetter l'air, chassant ainsi quelques herbes et buissons récalcitrants à son avancée. Posant une patte sur la racine, il la sauta de son corps entier avant d'utiliser son nouveau couvert comme couverture. Les autres gardiens avaient plus ou moins fait de même, mais quelques uns d'entre eux n'ont pas eu la chance d'Ythaq et avaient été rapidement abattu le temps qu'ils cherchent un couvert. A peine eût-il regardé par dessus le couvert qu'il vit Qasxi, le chef du groupe des Gardiens, sauter la même racine et se mettre à côté de lui.
« Virn mort, la moitié de mon groupe mort, et on sait toujours pas où ils sont. », souffla-t-il entre deux respirations. « C'était une sacré idée de merde. »
« Y'a toujours moyen de s'en sortir. », il passa rapidement la tête de l'autre côté de la racine, une flèche vint se planter dans la racine. Heureusement pour lui, et pour Qasxi, les Avians n'avaient pas l'air de se trouver devant eux mais bien derrière l'excroissance nourricière de l'arbre. Il leur fallait trouver une solution.

« Je me demande bien qui était Virn, finalement. Pourquoi l'ont-ils tué ? C'était pas censé être l'un des leurs ? »
« Si. C'était l'un des leurs, j'en avais la preuve. Le Thul'Odin l'avait gracié afin que je puisse le pister à Aviana. Les choses en ont décidé autrement. »
« Le Thul'Odin... D'un autre côté... si tu étais parti tout seul avec lui, je n'aurais pas donné cher de vos plumes. »
« En parlant de ça, il serait temps pour nous de bouger. Viens ! »

D'un coup rapide et sûr, Ythaq sauta du couvert pour planter ses griffes dans l'épaisse écorce de l'arbre, s'accrochant ainsi au tronc. S'aidant des griffes de ses pattes supérieures comme inférieures, il grimpa ainsi jusqu'aux branches les plus accessibles, suivi de près par Qasxi. De temps à autres, une flèche ou deux les frôlaient. Ythaq'Fi était concentré dans son ascension. Pendant ce temps-là, des dizaines de questions et de pensées traversaient sa tête. Le sacrifice de Virn était-il vraiment nécessaire, ou était-ce la façon de faire des Avians ? Que cachait-il ? Aviana semblait vraiment plus audacieuse et entreprenante dans ses actions que dans les années précédentes. Il fallait qu'il sorte de ce merdier. Qu'il prévienne les castes qu'Aviana devient encore plus dangereuse qu'auparavant.

Une fois hissé sur la première branche suffisamment grosse et solide pour supporter son poids, il se rendit compte que le feuillage et la hauteur les avaient plus ou moins mis hors de danger, en les cachant aux vues de leurs ennemis. Ythaq'Fi souffla un coup.
« Vous avez vu leurs positions ? », lança Ythaq alors qu'il tentait de jeter un coup d’œil parmi l'épais feuillage.

Pas de réponse. Instinctivement, il répéta sa phrase, pensant qu'il ne l'avait pas entendue. Puis, plus inquiet, il regarda derrière lui. Personne. Finalement, il regarda en bas. Le Gardien du Sanctuaire gisait dans l'herbe dos au sol, deux flèches dans le flanc. Il maudit les Avians, et s'agenouilla sur la branche.
Il était seul. Les survivants étaient probablement morts à l'heure qu'il était, et ils ne tarderaient pas à venir le tuer car ils l'avaient vu escalader le tronc. Son arc toujours bandé, il était décidé de les accueillir comme il se doit. Toute échappatoire devenait impossible. Il s'était déjà retrouvé dans ce genre de situations dans le passé, sur Turvess comme dans la Galaxie. Il préférait cependant quand cela se passait sur son terrain de jeu, à savoir ici-même. Utiliser les arbres, les feuillages, le vent, les odeurs, les ombres, le camouflage en devenait d'autant plus facile et intéressant que dans les jungles urbaines qui poussaient comme dans champignons dans les espaces colonisés et habités de la galaxie. La majorité des Avians naissaient à Aviana ou dans des villes proches. Ils étaient éduqués de la même façon qu'il l'avait vue dans les systèmes conciliaires. Leurs forces armées n'étaient donc pas nées pour survivre, mais formées pour. Ce qui, en soi, forme une grande différence, et c'est ce qui fait la force du peuple du Zéphyr. Ils naissaient dans la nature, pour la nature. Ils ne se forçaient pas à adapter la nature à leurs besoins contrairement à leurs rivaux.

Ils l'avaient déjà prouvé dans le passé, en brûlant les forêts pour faire sortir les rats de leurs tanières. L'ultime blasphème pour tout Raloi qui se respecte.

Soudainement, il entendit les feuille bruisser d'une façon qui n'était pas due au vent. Naturellement et par réflexe, il décocha une flèche dans la direction. Un râle se fit entendre, et il vit alors un Avian tomber d'une branche et heurter le sol avec fracas dans un bruit d'os craquelés abominable. C'est alors qu'il en vit un deuxième, il décocha une nouvelle flèche qu'il esquiva de très peu avec une pirouette puis il arriva directement au corps à corps avec une sorte de lame biaise. Il attaqua alors directement Ythaq, ayant pris l'avantage grâce à une réception digne d'un animal de cirque. Ythaq n'avait donc pas pris le temps de sortir une nouvelle flèche, mais frappa obliquement vers le haut de son arc afin de porter un coup qui déséquilibrerait son adversaire. Il ne fouetta que le vent, et le temps qu'il se retourne, une arme à feu était pointée sur son visage. Immédiatement il s'immobilisa, affichant un visage de marbre face à son adversaire qui l'avait en joue. L'éclaireur-guerrier se dit probablement que c'était la fin.

Mais son adversaire ne fit pas feu, sa griffe était pourtant bien placée sur la détente, tenant toujours sa lame biaise tenue dans sa main gauche pointée vers son prisonnier. Il entendit un autre raloi grimper l'arbre et se hisser derrière lui, l'encerclant.
« Heureusement pour toi, Rash'an, on a reçu l'ordre de te prendre vivant. C'est donc ce que nous allons faire, raclure de Zephyr'qun. »

La présence derrière lui l'assomma à l'aide d'un objet contondant qu'il n'eût bien évidemment pas le temps de reconnaître.

La douleur. Le noir. Le silence. La faim. Le désespoir. La perte de la notion du temps. Le manque de sommeil. L'impossibilité. Telles étaient les maîtres mot de la torture et de la soumission d'un prisonnier quand on voulait lui extirper quelque chose. Les services de renseignement du Vol Avian - Ythaq'Fi, pour une raison compréhensible, refusait l'appellation officielle, à savoir le Vol Raloi, et préférait appeler une rose une rose, et donc attribuait cette armée aux Avians et non pas à la race Raloise, car ce n'était pas le cas - savaient apparemment comment utiliser ses notions à bon escient. L'éclaireur-guerrier Zéphyron s'en rendit compte quand il ouvrit péniblement les yeux, une nouvelle fois, dans cette cellule plongée dans le noir absolu. De rares fois, une porte s'ouvrait, une lumière aveuglante venait troubler la vision d'Ythaq'Fi, quelqu'un venait lui parler, le rouait de quelques coups bien placés, puis, repartait pendant de longues heures.

Le poulet avait déjà perdu la notion du temps. Depuis quand était-il ici ? Quelques heures ? Quelques journées ? Quelques semaines ? Les repas étaient évidemment servis sans cycle régulier, afin de tromper l'horloge biologique. Ythaq devinait qu'il se trouvait à Aviana, ou, en tout cas, en territoire Avian. C'était la seule logique qu'il arrivait à mettre en place à ce moment-là. Le seul luxe qu'il avait était de pouvoir de temps en temps s'assoupir, jusqu'à ce qu'ils s'en rendent compte et le réveille à coup de douleurs infligées çà et là par des moyens inventifs. De manière générale, les Ralois avaient peur du feu non maîtrisé, comme une phobie. Ythaq'Fi, guerrier de la caste du Feu, avait été déjà confronté à cette force de la nature, et avait appris à l'utiliser, à la combattre, à jouer avec contre ses adversaires. Mais le fond, Ythaq'Fi avait peur de cette mort là. Mourir brûlé vif était le pire de ses cauchemars.

Puis, à un moment - pour ne pas dire un jour -, quelqu'un est rentré. Ythaq'Fi le reconnut immédiatement, il s'agissait là d'un Rash'an. A vrai dire, il en vit deux. La première silhouette se dessina petit à petit après l'acclimatation de ses pupilles à la lumière pour révéler Verne Dox, le frère de Virn, abattu plus tôt par les propres forces Avianes. Mais leur lien de parenté était inconnu d'Ythaq.
« Verne Dox... et.. Roya Fairq. J'en ai de la chance. », dit-il, toussant de temps à autres.
« Je vois que tu as encore usage de la parole et de ta tête. Ça ne durera pas. », fit Verne, s'étant écarté pour laisser rentrer Roya.

Ythaq ne fut pas si surpris de voir Roya ici. Dans cette pièce se trouvait trois des dix Rash'ans restant. Deux avaient déjà été assassinés par les Avians quelques années plus tôt. Depuis lors, un schisme s'était formé parmi ce groupe d'élite. Les Avians, les Zéphyrons... et les autres. Roya faisait partie de cette troisième catégorie. Refusant de prendre parti jusque lors, elle était un des éléments improbables de l'équation. D'une certaine façon, qu'elle soit ici était peut-être une bonne nouvelle pour Ythaq.
« Salut, Ythaq. », fit-elle simplement, sans autre mesure.
Elle n'est pas mêlée à tout ça., pensa-t-il. Trop détachée, pas assez impliquée. Rien que sa présence ici le prouve. Cela ne lui ressemble pas.
« Tu es conscient que tu ne quitteras pas cet endroit vivant ? »
« Laisse moi deviner... J'ai fait capoter un plan dont Virn était l'élément déclencheur ? »

Ythaq perçut du mépris et de la rage dans les yeux de Verne. Roya assistait silencieusement à la conversation.
« Virn était mon frère, sombre imbécile dénué de bon sens. », grinça-t-il. « Il était mon frère, et tu l'as tué. C'est pourquoi je te ferais souffrir aussi longtemps que je le peux. »

Contre toute attente et face à une rage croissante du geôlier, Ythaq fit ria.
« C'est peut-être toi l'idiot dans cette histoire. », commença-t-il. « Je n'ai pas tué Virn. Tes petits chasseurs l'ont directement abattu dès le début de l'embuscade alors qu'on cherchait à vous le rendre car il avait été gracié. »
« Tu penses que je vais te croire sur parole ? », rétorqua-t-il derechef. « Je n'ai même pas eu son corps, Hyasin. »
« Qui a donné l'ordre d'abattre Virn lors de l'embuscade !? », haussa le ton Ythaq. « Qui ! C'est ça la question ! Il n'avait fourni aucune information, il n'avait rien fait. Il avait été gracié et allait être rendu à tes pairs. »

Quelque part, Ythaq savait que Verne ne changerait jamais d'opinion. En vérité, ce n'était pas lui la cible de ses propos, mais Roya, bien que regardant Verne afin de lui montrer l'opposition d'un véritable Rash'an, élevé parmi les feuilles et loyal à ses convictions.
Soudain, Ythaq hurla de douleur. Verne avait sorti son omnitech du mode standby et avait déclenché un système électrique qui, relié aux liens d'entrave du prisonnier, libérait une décharge subite ou continue avec réglage de l'intensité. Accroché aux quatre fers, il ne pouvait réellement se contorsionner comme le ferait n'importe quelle personne contrainte à de telles décharges, donc il courbait le dos, appuyé contre le mur, contractait ses muscles douloureux, ses plaies le lançant terriblement. Puis, tout s'arrêta soudain, Ythaq avait la tête baissée, haletant.
« J'ai deviné ton petit jeu, Hyasin. Tu as tué Virn et tu paieras pour ça. Tout tes petits Gardiens ont déjà rendu l'âme pour les maigres survivants de l'embuscade. »
« Tu... tu... te trompes... Verne. Ouvre les... les yeux bon sang. », arrivait-il a dire avec peine, le souffle court.
« Non, c'est moi qui te ferait ouvrir les yeux. Comme je les ai ouvert à ton frère. »

Ythaq s'immobilisa de stupeur. C'était impossible, il n'y croyait pas. Son frère était mort dans le Bourbier. Tout le monde le croyait. Verne riait aux éclats, et les deux Rash'ans tournèrent les talons et quittèrent la pièce, laissant Ythaq seul dans le noir. Et les larmes.

Le Palais du Sanctuaire, 2188, dix ans plus tôt.

« Des Rash'ans ? Nous ? Des éclaireurs-guerriers aux ordres du Thul'Odin, ça paraît incroyable. »
« Et oui, mon frère. », sourit Qasxi'Fi Hyasin à son frère Ythaq'Fi en lui mettant la patte sur l'épaule. « Nous faisons partie des élus. Un grand pouvoir, qui engrange de grandes responsabilités. »

Ils étaient douze. Douze Ralois de naissances diverses, d'esprits variés, de lieux différents, de culture et d'ambition variables. Des Zéphyrons et des Avians. Unis par un même but : assurer la prospérité de l'espèce Raloise, découvrir la galaxie, rapporter les ressources importantes, informer, s'informer, établir des contacts avec les autres espèces, et tant d'autres encore. Ils savaient que ce n'était que le début, mais tous se voyaient liés par un lien inflexible, celui d'appartenir à cette race des seigneurs, cette élite, les Rash'ans. Certains n'étaient pas des combattants, mais tous pouvaient apporter leur savoir faire et leur talents au service non pas de leur peuple, mais de leur race entière.

Le Thul'Odin créateur des Rash'ans, Tuyir'Tha Namir, un Zéphyron qui se voulait plus ouvert vis à vis des Avians, était le premier Thul'Odin a avoir créé une institution - certes petite et insignifiante, mais très puissante en potentiel - qui rassemblait à la fois des Avians et des Zéphyrons. Le Solat, le Cercle des Anciens, en rassemblait aussi, mais il n'y avait à l'heure actuelle qu'un ou deux Avians parmi les sept anciens. Le Solat avait accepté avec joie la création de ce groupuscule. Ils savaient que ce ne serait pas aussi facile que l'entendait le Thul'Odin, mais il y croyait dur comme fer.

Cinq Avians, Sept Zéphyrons. La cérémonie s'était déroulée dans le très célèbre Palais des Anciens dans le Sanctuaire, dans la vallée Sanm, qui accueille la majorité des territoires Zéphyrons. Rares étaient les Avians qui s'étaient rendus là bas en dehors de missions d'espionnage ou de raids coups-de-poing. Dans le passé, bien évidemment, les Avians avaient aidé a rebâtir les forêts incendiées à cause des précédentes guerres, mais il y avait toujours eu une sorte de gouffre, de statu-quo entre les nations. Le Thul'Odin espérait que cette élite parviendrait à former une cohésion qui romprait les préjugés et rassemblerait les nations.

L'histoire lui montrerait qu'il avait tort, bien qu'il n'en vit jamais la conclusion, assassiné en janvier 2200, juste avant les prémices de la Guerre Fratricide.

Ce septembre 2188, alors rassemblés face au Thul'Odin, les douze ralois avaient décidé de mettre leurs a priori de côté, et de suivre ce pourquoi ils avaient été désignés. Le Thul'Odin avait envoyé une missive, six mois plus tôt, au Thul'baal d'Aviana et aux chefs de castes du Zéphyr, afin qu'ils s'organisent ensemble pour envoyer douze Ralois, peu importe la répartition. Les chefs de castes concentrèrent alors leurs efforts dans une sélection passive au cours des mois suivants, tandis que le Thul'baal annonça en grande pompe la création d'une élite et que tout prétendant devrait passer les tests correspondants. C'est ainsi que les douze ralois considérés comme les meilleurs de leurs domaines furent rassemblés. Le terme de Rash'an, éclaireur-guerrier, leur fut donné avec un titre et des attributs physiques qu'ils disposaient à convenance. Ils étaient les bras armés de la diplomatie Raloise dans la galaxie.

« Ne vous inquiétez pas, on sait tous que nos peuples se tirent les pattes. », glissait Verne Dox, alors qu'ils avaient quitté le palais du Sanctuaire. « Nous tous, nous sommes l'avenir. »
« On fera en sorte que cette galaxie nous reconnaisse comme une puissance unie et pérenne. », renchérit Roya Fairq.
« Ma confrère et moi nous irons conclure alliances et traités avec nos confrères de cette galaxie. », annonçait fièrement Xenda'Tha Reumas en regardant Sahrell'Tha Aiquil, qu'il tenait sous le bras, son aile recouvrant alors le dos de celle-ci. Ils ne se doutaient pas que quelques années plus tard, ils seraient lâchement assassinés par Aviana, au titre d'un rendez-vous diplomatique.
« Rappelez-vous les paroles du Thul'Odin. Nous sommes une élite, il faut agir ensemble. », proposait la jeune Maori Treîto, la plus idéaliste des douze.

Plus loin se trouvaient Gyp et Ultir Youan, véritablement inséparables, aux côtés de Direhm'Gün Salem, le garde-forestier Zéphyron, de Poupa'Gün Ksheirl, une scientifique appliquée et de Nelar'Fi Güyr, un jeune guerrier du Feu avide d'aventures.

La discussion se poursuivait alors que les douze étaient réunis pour la dernière fois, mais ceci, ils ne le savaient pas. En cet instant pleins de promesses et d'espoirs, Ythaq'Fi sentait l'aube d'une renaissance. Ils seraient en réalité l'instrument du déchirement des deux peuple et du déclenchement du plus terrible des conflits entre Aviana et le Zéphyr.

Aviana, de nos jours, 2198.

Ythaq'Fi, sous cape, car incapable physiquement, se remémora ce jour-là. Ainsi que les paroles de Verne Dox. Nous sommes l'avenir, Verne Dox ? Ou sommes-nous tout simplement que le jouet de forces qui nous dépassent tous, et dont certains ont trop vite payé le prix sans comprendre pourquoi ? Il avait beau avoir écumé la galaxie pendant dix ans, traversé nombre de situations, assisté à des guerres, des conflits particuliers dans cette galaxie finalement plus qu'hostile, qu'il espérait dans son cœur de rapace que Turvess serait une sorte de havre de paix dans cette fournaise en perpétuel remous. Il se retrouvait alors, à chaque fois qu'il reposait pied sur Turvess, face à cette dure réalité. Leurs efforts avaient été vains, les Rash'ans, inutiles voire ayant aggravés le processus, et la situation, toujours plus envenimée jusqu'au point de rupture.

Ce qui était sûr, c'est que dans cette obscurité à en confondre le plissement des paupières avec le noir ambiant, c'est qu'il avait le temps de méditer, de réfléchir, de réalité une introspection sur lui-même et ce qu'il avait accompli jusque lors. Il ne cherchait pas la gloire, comme beaucoup de personnes qu'il avait crû honnêtes. Verne Dox était l'un de ceux-là. Ythaq'Fi apprendrait vite que son frère, Qasxi'Fi Hyasin, avait lui aussi suivi la voie des corrompus.

Il s'était passé un temps infini pour lui quand enfin il sentit quelque chose d'inhabituel, dans ses muscles et son corps entier. Des vibrations. Des secousses. Comme... comme des explosions. Puis, plus rien, pendant un temps qui lui paraissait infini à nouveau, car cette fois-ci il était dans l'attente, ne pouvant dormir que de faire naître progressivement un espoir croissant d'échappatoire à cet enfer sombre et silencieux qui n'avait qu'un but pour Verne Dox : le convertir.

C'est alors que l'impensable devint réalité. La porte s'ouvrit. Ne révélant ni un bourreau ni un interrogateur ou encore un philosophe qui tenterait à nouveau de s'immiscer dans ses pensées pour les retourner et les démonter une à une. Non. Il fut heureux de pouvoir encore le reconnaître. Il avait l'air un peu fatigué, ayant vraisemblablement combattu, mais ce qui pouvait être considéré comme un sourire illuminait son visage. Il s'agissait là de...
« Nelar'Fi... je... je n'y crois pas. »
« Et si, mon gros, allez, on va te tirer de là. »

Il se précipita vers Ythaq, le détachant de ses liens. Le poulet prisonnier s'effondra alors vers le sol, rapidement retenu par Nelar, le temps qu'il reprenne possession de ses muscles encore trop endoloris et atrophiés du manque de mouvement de ces derniers temps qu'il n'arrivait pas encore à qualifier. « Dis... dis moi... combien de temps ? » « Deux semaines, Ythaq. Deux semaines, et on en a fait du chemin pour te trouver, mais faisons vite, car s'ils nous trouvent ici, ça sera considéré comme un acte de guerre. »

Nelar l'aida à se rétablir, Ythaq tenant enfin sur ses pattes inférieures. Il saisit alors une arme à feu tendue par Nelar pour l'aider à se défendre. Une fois sorti de la pièce, Nelar put alors contempler les dégâts. « T'as l'air vraiment minable mon gros. », lâcha-t-il avec un bref rictus amusé. « Roya nous a filé un coup de main, normalement on devrait pas trop avoir de soucis à sortir d'ici. »
« Laisse moi deviner, j'ai plus l'impression qu'on va avoir du mal a s'extraire d'Aviana. »
« Tout juste. Je te laisse imaginer la gueule de Verne quand il saura qu'on t'a sorti de là. Ils nous lâcherons pas d'une empreinte de pas. »

Nelar'Fi emboita le pas vers une autre porte, suivi de près par Ythaq'Fi. Vers la liberté.

« Bon, cette planque nous a bien aidé. Mais là, ça fait déjà trois jours qu'on squatte ici. Faut bouger. »

Leur fuite d'un des bâtiments des Services Secrets Avians fut assez facile. Roya leur avait tracé le chemin directement jusqu'à l'extérieur. A travers un dédale de bâtiments et de couloirs qui fit perdre le nord du sud à l'éclaireur-guerrier de la tribu Hyasin. Ils avaient alors été rapidement retrouvés par des chasseurs Avians, qu'une fois de plus Roya avait distraits pour leur permettre de s'échapper. Pendant deux-trois jours, elle avait presque joué un rôle d'ange gardien. Cela n'était cependant que le début. La première planque, prévue par Nelar'Fi cette fois-ci, leur permit d'échapper aux recherches pendant deux jours. Ythaq'Fi n'avait été que de rares fois à Aviana. La première fois fut lors de la cérémonie organisée par la délégation concilienne et Aviana en 2184, ayant convié cette fois là les Zéphyrons. Tous ne firent malheureusement pas le voyage. Non pas à cause des Avians, mais à cause des étrangers venus poser le pied sur leur planète chérie. Ythaq se demanda pourquoi les Avians avaient alors caché l'existence des Zéphyrons aux Asaris, alors qu'ils auraient pu les désigner comme les racistes Turvessis.

C'est quand il regardait par la fenêtre de leur planque - quand il y en avait une - qu'il se rendait compte à quel point les Avians étaient différents des Zéphyrons. Du béton, des machines, des bâtiments immenses, des véhicules divers et variés. Des façons de s'habiller différentes, sans distinction particulières. Il n'y avait pas de castes, mais une société aux milles facettes avec un individualisme croissant au fur et a mesure des siècles. Étonnamment, ils ne semblaient pas souffrir d'un manque de patriotisme. "Aviana la Grande", était dans les esprits des Avians, et rien au monde ne pourrait leur enlever ça de la tête. Ythaq leur accorda bien cela.

Il se demanda alors pourquoi se battaient-ils. Ils partageaient le même sang, la même génétique, le même patrimoine originel... Politiques.
« Tu m'as entendu, Ythaq'Fi ? Il va falloir bouger. »
« J'ai entendu. Ça fait plus d'une semaine qu'on court de planques en planques. Comment tu comptes sortir de la métropole ? »

Cette fois-ci, ce fut a Nelar'Fi d'être silencieux. Il s'était interrompu, et se rapprochait d'Ythaq'Fi, jusqu'à lui poser une patte sur l'épaule. Ce dernier ne bougea pas d'une griffe. Il se contentait de regarder dehors, le regard vide.
« On est pas seuls. Et puis, on a des informations confidentielles, ramenées tout droit de Verne Dox. Il faut absolument ramener ça aux castes. C'est notre mission. »
« C'est à ce moment-là que je me demande bien pourquoi on ne leur a pas donné un foutu omnitech. »
Nelar'Fi leva un sourcil. Ythaq'Fi soupira.
« Tu sais ce que j'ai voulu dire. »

La porte s'ouvrit brusquement, les deux guerriers de la caste du Feu firent volte face afin de se préparer a toute éventualité. Mais c'est une femme qui ouvrit la porte, femme qui fut immédiatement reconnue par le duo, ce qui fit baisser leur niveau d'adrénaline. Ythaq'Fi se rappuya contre le mur, a côté de la fenêtre, regardant dehors, sa position originelle. De cette façon, il tournait le dos à la nouvelle arrivée. Elle contrastait par rapport aux deux ralois à l'intérieur a cause de son accoutrement digne des habitants de cette ville... des habits soit disant "modernes".
« Du calme, les gars, ce n'est que moi. », lança Roya Fairq, levant les deux pattes, griffes grandes ouvertes. « Comment va ? »
« On fait aller. », il se rapprocha de Roya, allant dans une autre petite pièce. Il jeta un bref regard a Ythaq. « Il est pas en forme, par contre. C'est quoi la suite des évènements ? »
« Toujours a cause de son frère ? », Nelar'Fi hocha silencieusement la tête, Roya lâcha un bref soupir. « Je n'aimerais pas être à la place de Verne. » « Ni être là lors de la confrontation des frères Hyasin. », renchérit son interlocuteur.

Puis, ils se turent, jetant tout deux un bref regard à Ythaq, toujours immobile, regardant dehors.
« Notre patrimoine génétique nous a donné de bonnes ouïes, vous savez. Je sais très bien ce qu'il a fait à Qasxi. Je suis juste... perturbé, qu'il soit encore en vie. », dit-il, le regard fixe. Il fut alors rejoint par Nelar et Roya. « Si tu répondais à Nelar en nous disant ce qu'il advient de nous maintenant ? »
« Vous n'avez pas avancé ni attendu sans raison. », commença-t-elle. « Nous ne sommes pas loin d'un des funiculaires qui rejoignent la partie basse de la ville. De là, il sera plus simple de vous faire sortir de la ville. Le but, maintenant, ça reste de réussir a emprunter un des funiculaires sans que ça tourne au cauchemar. Il va s'en dire qu'un affrontement dans ces boites de conserve et s'en est fini de vous. »
Nelar'Fi tiqua, Ythaq aussi, mais il fut plus rapide.
« Tu ne viens pas avec nous ? »
« Je vous guiderais jusqu'au funiculaire. Après, vous devrez attendre que je vous rejoigne en bas. Verne Dox me surveille. »

Ils se turent, plutôt convaincus.
« En parlant de ça, nous devrions filer. Aller, prenez vos affaires. »