Cela faisait à présent une petite heure qu'Arthur Gordon, directeur de l'Académie Grissom, triait les nombreux dossiers qui occupait presque tout l'espace disponible sur son bureau. Il aurait pu demander à son secrétaire de le faire à sa place, mais le vieil homme était un maniaque qui tenait à ce que les choses soient faites de la manière dont il le souhaitait et ne supportait que sa seule manière d'arranger sa paperasse. De ce fait, c'était seul qu'il rangeait son propre bazar. On ne s'en doutait pas forcément, mais être directeur d'un établissement n'était pas de tout repos, surtout lorsque l'établissement en question était aussi prestigieux et quotté que le sien. Il y était entré en fonction il y a bientôt dix ans, peu après la Grande Guerre et avait eu la lourde tâche de maintenir l'Académie active et réhabiliter les étudiants qui avaient été envoyé au front. Il était très fier de la situation actuelle de la station et la considérait un peu comme une seconde maison, qu'il avait rénovée et réarrangée. Cette fierté n'était pas déplacée, connaissant la crise terrible que l'Humanité avait connue pendant les années post-guerre. Peu de gens auraient pu redresser la situation de l'Académie Grissom tel que l'illustre homme l'avait fait. Il faut dire qu'il était une personne passionnée. La biotique était un sujet qui l'avait toujours fasciné depuis sa découverte et il s'y était dédié pendant de longues années afin d'en découvrir les secrets et faire progresser la médecine dans une voie nouvelle aux possibilités étonnantes. Mais outre le fait qu'il fût un scientifique dans l'âme, il était également un homme sentimental et altruiste. Les conditions de vie des biotiques l'affectaient et devenir le directeur de l'Académie Grissom était pour lui une manière de s'investir totalement en l'étude de la biotique, pour rendre les personnes affectées par cela plus accommodées à leur situation. Il tenait également à inscrire son nom dans la liste des personnes importantes dans l'histoire de la biotique. Pour cela, il avait lancé le projet de conception d'implants L5. Le dispositif précédent était encore très récent, mais le directeur de l'Académie y avait rapidement trouvé des défauts et avait vite trouvé des moyens de corriger ces failles, tout en en améliorant d'autres aspects. Il était créatif et ingénieux, et c'est ce qui avait fait son succès.
Lorsqu'il tomba sur le dossier de son fameux projet, Arthur Gordon ne put résister à la tentation de lire ses propres textes et plans. Il avait ce petit côté narcissique qui tend à se manifester lorsque certaines personnes connaissent le succès. On ne pouvait réellement le lui en vouloir, d'autant plus qu'il ne se vantait que très rarement de son génie, ou encore de ses créations ; il gardait cela pour lui et cela lui suffisait. Pendant qu'il feuilletait les documents, son regard se porta sur un autre dossier, un peu en retrait sur son bureau. En y jetant un œil, il vit qu'il s'agissait de celui d'une enseignante de l'Académie, Alicia McColl. Le vieil homme la connaissait bien et entretenait avec elle des bonnes relations ; c'était une biotique qu'il avait engagée il y a quelques années et qui était assez impliquée dans les recherches scientifiques. Quelque part, dans l'esprit incroyablement tordu et compliqué du directeur, un lien se fit entre son prototype d'implant L5 et la femme. Il eu l'idée de lier l'intéressée à son projet en temps que superviseuse et critique. En effet, aussi fier était-il de son travail, il savait que son regard ne pouvait pas être objectif et il lui fallait un regard neutre et extérieur pour trouver les failles de son travail. Il savait que l'enseignante était une femme intelligente et impliquée dans son travail et c'est ce dont il avait besoin. Et s'il l'avait engagée, c'est qu'elle avait les capacités qu'il exigeait de ses employés. Il aurait certes pu choisir une autre personne qu'elle, peut-être une personne plus qualifiée pour la tâche demandée, mais c'était son dossier qu'il avait sous les yeux et c'était donc elle qu'il avait choisi.
Arthur Gordon tendit donc la main vers son intercom, pour appeler son secrétaire, et dit dans la voix malicieuse et pleine de secret qui lui était bien propre, avec une pointe d'agacement suite à son heure de triage :
- Mme Dubourg, faites venir Mme McColl, s'il vous plaît... Et faites-moi venir un peu de thé aussi, j'ai soif.