Le Letkel était un bâtiment ancien qui dans ses meilleurs jours avait été un porte chasseurs ; son obsolescence l'avait cependant destiné à une revente à bas prix à un armateur privé galarien, lequel l'avait majoritairement reconverti en vaisseau de commerce. Ainsi la majeure partie de l'espace réservée aux chasseurs était désormais utilisé pour le transport de marchandises à légalité variable mais à la rentabilité toujours assurée. On ressentait pourtant une recherche d'économie constante, que ce soit dans le capitaine, un déserteur turien trop heureux de trouver un poste fixe, dans le vaisseau, réparé en cas de réelle nécessité, et dans les mercenaires chargés de le défendre en cas d'attaque, des free-lances moins regardant sur la paie que les organisations.
Aussi quand Mazel avait demandé à faire partie du voyage, l'occasion avait été saisie rapidement, un mercenaire quarien (donc peu exigeant), avec un vaisseau (donc frais de transport) et recherchant du travail (donc avantage de négociation) était une douceur dont le Letkel n'avait pas été privé.

Mazel déambulait ainsi dans les couloirs du vaisseau reliant le réfectoire au hangar où le Rieleï stationnait. Son esprit tentait de convaincre son organisme que ce qu'il avait ingéré était bel et bien de l'ordre du comestible mais ce n'était pas simple ; visiblement des économies étaient également réalisées sur le ravitaillement. Il croisa trois butariens en pleine discussion, apparemment sur les probabilités d'une attaque de pirates. L'employeur était souvent moins pingre après qu'on lui ai sauvé la vie et même sans ça, quelques pertes dans les rangs rapportaient aussi, sous différentes formes. Aucun ne s'arrêta ou n'accusa de réaction en apercevant le quarien, car bien que faisant peu parler de lui, Mazel avait découvert un passager bien moins classique lui : un elcor.
Il secoua la tête rien qu'en y repensant. Il était heureux de porter une combinaison, ainsi personne n'avait pu voir sa surprise et son ébahissement en voyant ce surprenant individu. Car il ne s'agissait pas d'un passager ou d'un manutentionnaire, mais d'un membre du personnel de sécurité. Il avait vaguement entendu parler des fameux tanks sur pattes mais en voir un était différent, d'autant que celui-là portait toujours son arsenal sur lui; quatre fusil mattock fixé sur son dos et probablement muni d'un système de visée automatique. Pour compléter l'impression mi comique mi inquiétante, l'elcor traînait derrière lui une grande caisse de matériel qui ne le quittait pas et n'avait pas dit un mot depuis le départ. A côté de ça, un quarien avait presque l'air à sa place.

Il parcouru encore quelques mètres avant que son omnitech ne le bippe. Mazel l'examina et constata avec satisfaction que les dernières améliorations de sa combinaison avaient été installées. Parmi elles se trouvait un programme qui reproduisait l'action des geths se chargeant dans les combinaisons quariennes afin de stimuler le système immunitaire de l'hôte. Mazel n'avait rien de particulier contre les geths mais l'idée de laisser une IA se balader dans un espace aussi privé que celui-ci le rebutait franchement. Il rendait grâce aux ancêtres d'avoir fait partager son sentiment a assez des siens pour que naisse cette application.
Il s'assura de l'entière compatibilté de l'ensemble avant de poursuivre sa route en toute sérénité. Un sentiment qui ne dura que peu cependant ; il venait de tourner à un embranchement quand il aperçut deux turiens marchants côte à côte. Il les avaient déjà croisés, rodant dans les hangars, l'épiant aussi discrètement que possible. Il avait pensé qu'il tenterait de lui voler le Rieleï, ce qui avec le système de protection d'Elinath ne risquait pas d'arriver, mais leurs armes et leur air belliqueux lui firent voir une autre possibilité. Son instinct lui hurla un avertissement qu'il écouta sur le champ. Les premiers tirs fusèrent. Mazel se plaqua contre une paroi et activa son camouflage optique.

"-Cet enfoiré a un camouflage !
-Ces trucs masquent mal les mouvements rapides. Sois vigilant !"

En temps normal Mazel se serait en effet éloigné pour un affrontement à distance où il se débrouillait mieux. Mais il serait très mal vu que de laisser des cadavres dans le vaisseau. Il fallait donc adopter un plan différent. Les turiens passèrent devant lui sans le voir, guettant les alentours. Lorsque le deuxième parvint à sa hauteur, le quarien frappa. Un coup dans le genou pour déstabiliser. Mazel saisit son bras gauche et fit une clé avant de redonner un second coup de pied dans la jambe. Incapable de compenser le mouvement qu'on voulait lui imprimer, la jambe se cassa. Un crochet au menton vint parachever le travail et fit perdre conscience à son adversaire. Il s'était à peine écoulé assez de temps pour que l'autre se retourne et commence à lever son arme. Mazel frappa des deux points, juste sous les yeux. Le turien eu le réflexe de fermer les yeux, mais cela n'atténua pas la douleur. Il essayait de récupérer quand il reçut un coup de coude dans la nuque. Il oscillait dangereusement près de l'inconscience quand le quarien lui faucha les jambes, achevant le travail.

Mazel fit quelques mouvement d'épaules en observant les deux turiens inanimés. Qui pensait qu'un quarien se risquerait au contact ? Surtout avec des combinaisons à l'air si astreignantes pour les mouvements. Ca et l'effet de surprise, c'était radical ; même si intérieurement, Mazel doutait qu'il s'en serait sorti avec un ennemi de plus ou si les conditions avaient été moins favorables.
Il reprit sa route en direction de son vaisseau et se promit de ne plus le quitter que le strict minimum à partir d'aujourd'hui et ce jusqu'à ce qu'il ai quitté ce bâtiment.

Quatre jours s'étaient écoulés depuis la rixe de couloir avait éclaté, un événement dont seul le capitaine avait parlé publiquement, en réprimandant vaguement Mazel d'avoir estropié un membre du personnel de sécurité. Le quarien s'était retranché à côté de son vaisseau en alignant les caisses, une mesure qui avait découragé quelques velléités naissantes. En dehors de ça rien n'avait changé.


Excepté dans la salle des moteurs du vaisseau où les choses se passait d'une toute autre manière, les trois ingénieurs de quart dormaient en effet profondément d'une torpeur trop forte intense pour être normale. Deux d'entre eux, des galariens, étaient affalés sur la table où ils avaient pris un café pour se remettre. Le dernier, un butarien, avait été mis proprement KO et gisait allongé contre un mur dans une posture qui suggérait une forte douleur crânienne au réveil. Penchée sur les commandes des moteurs, Anyla observait le bon déroulement des instructions données à l'ordinateur. L'asari eut un sourire satisfait lorsque l'ordinateur lui demanda de valider son choix ; elle se pencha sur son communicateur et déclara d'une voix triomphante :
« -La proie est en place. »
Et elle appuya.


Sur la passerelle de pilotage l'annonce de la défaillance des moteurs provoqua une vague d'inquiétudes ; qui se mua en panique quand trois vaisseaux au signal d’Éclipse apparurent sur les radars. L'alerte rouge fut déclenchée.


Mazel ouvrit les yeux dés les premières sonneries d'alarme. Ses réflexes prirent rapidement le dessus. Il sortit donc armé et alerte du Rieleï pour faire évacuer les civils vers une zone sûre. Il se rappela cependant qu'il était à bord d'un vaisseau de contrebande, personne à faire évacuer donc. Juste un ennemi à repousser. Le message d'alerter indiquait un abordage imminent, or il n'y avait que deux sas. Il se dirigea donc vers le premier aussi vite que possible, précédés par d'autres mercenaires. Certains sortaient visiblement d'un sommeil lourd, leurs gestes manquaient de précision et leurs yeux de sang froid. For heureusement d'autres montraient les réflexes de combattants plus aguerris. Ils se parquèrent devant le premier sas, laissant le deuxième au soin d'une autre équipe et prirent position tant bien que mal derrière les différents objets encombrants le passage. Une initiative gênante d'ordinaire mais louable ici. Mazel prépara son fusil de précision, se cala dans l'ouverture d'une porte et attendit.
Le grésillement d'une porte que l'on force se fit entendre, devenant plus fort à mesure que le travail progressait. La tension monta d'un cran. Finalement le sas s'ouvrit, dévoilant les armures jaunes des mercenaires d’Éclipse. Le quarien sortit juste ce qu'il faut de son couvert et visa. Il put ainsi voir la grenade à travers la lunette.


« -Grenade ! »


Il se remit à couvert, imité par plusieurs mercenaires. Des cris de douleur l'informèrent que d'autres avaient eu moins de chance. La déflagration était à peine dissipée que les armes commencèrent leurs échanges mortels. Mazel reprit sa visée et tira. L'objectif : la tête d'une asari trop sûre d''elle. Hélas sa barrière biotique absorba l'essentiel du choc, se contentant de la déstabiliser. Le quarien jura, se mit à couvert et changea la cartouche thermique de son arme. Il réajusta son tir et cette fois termina le travail. La mercenaire s'écroula, mal protégée par les parois du sas. Mazel prit le temps de compter vaguement les forces en présence. Huit mercenaires free-lance contre une douzaine d’Éclipse. Le combat allait être serré. Il rechargea. Un turien s'éffondra devant lui, sa peau étant en train de se décomposer il n'en avait plus pour longtemps. Une déchirure ne pardonnait pas. Ignorant ses cris de douleur, Mazel tira une deuxième fois et perfora le genou d'un humain. Ce dernier perdit l'équilibre et tomba sur le sol. Les assaillants menaient par cinq victimes à quatre. Parfaitement synchronisés, ils abattaient les défenseurs ligne par ligne et Mazel ne douta pas qu'ils viendraient bientôt le déloger. Il tira une nouvelle fois mais fut percuté par une projection biotique et heurta violemment une paroi. Son système de sécurité réagit et activa le magnétisme de ses gants, ainsi son arme lui resta en main. Il ne fallait pas rester ici. Il fit usage de son camouflage optique et déguerpit sous les tirs à l'aveuglette. Les mercenaires allaient probablement s'en prendre à la cargaison et le hangar était plus facile à défendre. Il s'y précipita, profitant de l'avantage de sa couverture. Visiblement plusieurs mercenaires avaient eu la même idée car il fut loin d'être le seul à s'y réfugier. Il se plaça du côté des défenses improvisées du Rieleï, rechargea une nouvelle fois son arme et attendit.
Comme prévu les assaillants arrivèrent. Le feu fut ouvert mais majoritairement en pure perte car leurs ennemis agissaient de manière professionnelle et méthodique. Ils n'essuyèrent donc que peu de pertes. Alors qu'il réarmait une nouvelle fois son arme, Mazel vit venir à lui une silhouette qu'il reconnut. L'elcor. Il avait chaussé une espèce de casque recouvrant ses yeux de lunettes rouges. Le spectacle était aussi inquiétant que comique. Pour autant les armes du tank vivant n'étaient pas en activité. Pourquoi ? La réponse vint assez vite. Il avait changé de calibre mais le canon, que Mazel aurait plutôt vu sur un vaisseau, ne tenait pas droit, une sangle avait cassé, laissant l'arme pantelante et inutile. L'elcor fit un signe de la patte avant droite en désignant son harnachement et le quarien comprit. Rangeant son fusil, Mazel s’attela à rafistoler les attaches. Il avait conscience de prendre un gros risque mais l'ajout d'une telle arme dans la bataille pourrait augmenter les chances de survie des défenseurs. Il mit en route son omnitech. Il lui fallait juste un adhésif fort, même courte durée...
Il rapprocha les deux extrémités en tirant aussi fort qu'il pouvait et observa deux autres sangles. Un système de sécurité, utile pour mieux répartir le poids et ainsi éviter de martyriser d'avantage un cordage affaibli.
Des tirs fusèrent dans leur direction, lui rappelant que le temps comptait. L'elcor n'accusa aucune réaction. La préparation de l'omnigel était prête. Mazel l'appliqua sur la sangle où elle durcit de manière quasi instantanée. Il ne perdit pas une seconde plus et équipa la sécurité.


« -Nettoie la zone ! »


Le quarien crut entendre ce qui ressemblait à un rire et l'enfer s'abattit sur les mercenaires d’Éclipse.

Les mercenaires d'Eclipse s'étaient préparés, bien même ; cependant ils ne purent rien faire contre l'elcor. La puissance de feu d'un chasseur contre de simples bataillons d'infanterie, le combat était redoutablement inégal. Les mercenaires ne s'avouèrent pas vaincus facilement et il fallut encore près d'une heure avant que le hangar ne soit sécurisé. Parmi les défenseurs survivants, ce fut la liesse, plusieurs vinrent serrer la patte du héros du jour. Encore une fois il ne fut pas possible de lui soutirer un mot, personne ne s'en formalisa cependant.

Pour autant les choses n'étaient pas roses à tout point de vue, car l'autre hangar était tombé sous l'assaut des mercenaires et une bonne partie de la cargaison avec, sans parler de ceux chargés de la protéger. Le pillage des corps ne dérangea donc personne devant le risque de voir le salaire diminuer. Éclipse se contenta de sa prise avant de plier bagage, laissant le capitaine procéder aux réparations et aux explications avec son employeur. Un sujet épineux, d'autant plus que plusieurs mercenaires avaient déjà demandé une augmentation de salaire, arguant que la difficulté du travail avait augmenté avec le grand nombre de morts. La découverte de l'infiltration d'un agent ennemi au sein du vaisseau n'arrangea rien. Mazel profita de la situation également et se fit le porte parole de l'elcor ; il ne l'aurait pas fait pour un marchand honnête mais au vu de l'attaque et de la destination, il doutait d'avoir à un individu fréquentable. Le faire couler ne lui posait donc aucun problème de conscience.

Le lendemain il eut la surprise de voir venir à lui son camarade de combat ; il avait ôté son canon et son casque mais traînait toujours sa fameuse caisse de matériel. L'elcor lui donna un papier sur lequel on pouvait lire "Baltamer", ce qui, supposa Mazel, devait être son nom. Par la suite il lui présenta un plateau blanc et noir ainsi qu'une collection de statuettes, il s'agissait d'un jeu. Le quarien se laissa convaincre d'essayer, il avait bien besoin de se détendre un peu, et entreprit d'apprendre les règles des échecs, ce qui s'avérait difficile avec un partenaire muet. Pour autant cela lui permit de passer le temps et de s'occuper l'esprit.
Lorsqu'il cessa de se faire battre en quelques minutes, Baltamer semblait disposer d'une solide expérience et d'une apparente absence de pitié, il commença à sympathiser réellement avec l'elcor. Même si la vérité était qu'il fit la conversation tout seul, au point qu'il raconte une partie de sa vie, ce dont son interlocuteur ne semblait pas lui tenir rigueur. Il ne put arracher aucun mot à l'elcor, ce qui amena Mazel à le considérer comme réellement muet.

Le voyage connut sa fin, les mercenaires touchèrent leur paie alors qu'Oméga et ses sombres promesses s'offraient aux regards des nouveaux arrivants. Mazel prépara le Rieleï pour sa sortie lorsqu'il aperçut Baltamer approcher.

"-Ce fut un plaisir de voyager avec toi. J'espère que nous nous reverrons."

Mais au lieu d'un salut quelconque, l'elcor tendit l'une de ses pattes vers le vaisseau puis vers lui même.

"-Tu veux que nous travaillons ensemble ?"

Acquiescement. Mazel n'était pas fondamentalement contre, il était persuadé que Baltamer aurait pu l'abattre sans problème si l'envie lui avait pris ; de plus une paire de bras supplémentaire n'était pas de refus. Après tout il allait s'attaquer aux Soleils Bleus.

"-Tu connais mes intentions ?"

Fausse question. Il les lui avait raconté, ça et mille et autres anecdotes. Il y eu un nouvel acquiescement. Mazel tendit la main.

"-Alors bienvenue à bord."

Baltamer serra la main du quarien d'une patte vigoureuse.

"-Je n'aurai jamais pensé que mon premier membre d'équipage soit elcor. Quand les filles l'apprendront."